Paul Denis Œdipe médecin

PUF, Le Fil Rouge, Psychanalyse, 2017

Fulvia Castellano
Psychologue clinicienne, psychanalyste, analyste praticienne membre d’Espace Analytique, exerçant en cabinet à Paris et à Elancourt 78 (Centre Médical C. Bernard).
A publié « Un personnage en quête d’auteur », contribution à la revue Du cinéma à la psychanalyse, le féminin interrogé, sous la direction de Vannina Micheli-Rechtman et Jean-Jacques Moscovitz, éd. Eres, coll. Le regard qui bat, 2013.

 

J’ai beaucoup aimé Œdipe médecin de Paul Denis, en raison d’abord de la grande sensibilité et de l’acuité clinique de l’auteur, et aussi pour m’avoir ouverte à un regard différent sur la dépression, le deuil mélancolique, et les différentes régressions psychiques, effets de l’impossible séparation de l’objet. Paul Denis nous fait rentrer avec une grande finesse dans les détails du fonctionnement psychique, à chaque fois pris dans sa singularité. Grand connaisseur des méandres de la réflexion freudienne sur les modalités pulsionnelles, il questionne la douleur psychique telle qu’on peut la percevoir dans la clinique, et traque l’affect, la sensation pourtant impossible à dire dans les diverses déclinaisons avec l’objet, la façon dont l’analyste peut y avoir accès. S’appuyant sur Balzac, « fin clinicien de la dépression », et sur d’autres romanciers, des peintres, il décrit comment s’installe le symptôme dépressif, en quoi il est utile au sujet, lui permettant d’éviter une désorganisation du Moi, autrement insupportable. Là intervient la pulsion d’emprise, au service du sujet essayant d’échapper au vide, à l’abandon de l’investissement objectal, dans un projet de possession totale, à l’aide parfois de la pensée magique ou de la fétichisation, la satisfaction pulsionnelle étant impossible.

Paul Denis reprend le fil de sa pensée autour des deux formants de la pulsion, l’emprise et la satisfaction (cf Emprise et satisfaction, les deux formants de la pulsion, 1997). 

Il y a eu traumatisme. Le risque d’une désorganisation psychique, se faisant annoncer au sujet par une « angoisse de mort psychique », reste toujours présent dans ces situations cliniques où la douleur est au premier plan. L’emprise sur l’objet d’une façon ou d’une autre, peut être une solution pour le sujet, ainsi que l’évitement, la fugue, la « solitude du fugueur » signant à la fois une « interruption de la relation » et une « conduite meurtrière en direction de l’objet ». L’excitation, le débordement pulsionnel, sont traumatiques. L’autre solution serait la satisfaction. « De l’activité à la passivité, il y aurait deux voies : l’une qui conduirait par l’activité de la pulsion, à la passivité de la satisfaction (toute pulsion est active et son but toujours passif) : l’éprouvé de la satisfaction, l’autre qui par désinvestissement de toute activité, laisse le champ libre à l’excitation non élaborée, traumatique et à ses effets sur le psychisme et sur l’ensemble psyché-soma. Il n’y a pas alors retournement de l’activité en passivité mais dépulsionnalisation ».

Or, il y a une forme de réceptivité active propre au féminin que toute rencontre demande, « un mouvement d’appropriation, de développement de la réceptivité psychique à l’égard de son propre corps comme à celui d’autrui tel qu’on le voit se dérouler tout au long du poème de Valéry, La jeune Parque ». Lorsque la dépendance envers l’objet rend la séparation difficile, le fonctionnement psychique se trouve limité et « la séparation définitive peut alors apparaître comme le remède à l’attente insupportable ». De la même façon, face à la douleur de la perte de l’objet investi et à l’effet du traumatisme, « le surinvestissement d’une douleur, accidentelle ou auto-provoquée peut être utilisé, pour lutter contre une surcharge d’excitation libidinale, qui menace la cohésion du Moi. Il faut trouver des moyens de panser la blessure narcissique due à une excitation incontrôlable et inutilisable, plus encore qu’un sentiment de perte de maîtrise, il s’agit d’une impression de faillite du Moi… ».

Par exemple, dans les douleurs chroniques, lorsque des formes de masochisme n’ont pas pu se mettre en place, la plainte permet de garder l’objet-douleur.

Ces différents choix s’inscrivent dans un fonctionnement économique, pulsionnel, singulier.

Se pose alors une question : une thérapeutique possible ne serait-elle pas à trouver dans la relation au médecin, dans « le rétablissement d’un courant relationnel organisateur qui priverait la douleur de sa nécessité » ?

Toute organisation vivante de la sexualité, avec son corrélat d’investissements et de désinvestissements, comprend des scénarios susceptibles de transformations. « La capacité à investir la bisexualité d’autrui et la sienne propre est le produit du fonctionnement œdipien dans ses deux versants direct et inversé. La maladie sexuelle peut devenir maligne si elle se développe dans une direction unique ». Mais « une nouvelle poussée de la maladie sexuelle », la maladie amoureuse, peut permettre au sujet d’aller vers des expériences de satisfaction partagées.

Alors un chemin de transformation devient possible sous le signe d’Œdipe, dans l’ouverture à la réceptivité active, pour l’élaboration du complexe œdipien, du traumatisme, après avoir survécu à la maladie, si les instances ont tenu bon. La réorganisation œdipienne permet le désinvestissement de l’objet vers une ouverture à l’autre sous toutes ses formes et la relance du désir pour de nouveaux investissements. Paul Denis redonne ainsi toute son importance à la prise en compte de la sexualité dans la cure, car « la sexualité est le destin (…) celui de l’être entier, corps et âme sans partage : l’âme est sexuelle. Le sexuel n’infecte pas le psychisme, il le constitue, la sexualité n’infecte pas le transfert, elle le trame. »

Il nous rappelle ainsi que la prise en compte de l’organisation œdipienne et sa réorganisation, restent essentielles dans toute thérapeutique psychanalytique, l’analyste en place de surmoi protecteur, veillant toujours au bon déroulement du mouvement associatif.

J’espère ne pas avoir trop trahi la pensée de l’auteur dont la richesse et la subtilité rendent l’exercice périlleux. J’ai surtout souhaité inviter à découvrir et à approfondir ce texte qui parle entre autres de façon tellement sensible et vivante de la pulsion, sous toutes ses formes et dans toutes ses modalités.

Fulvia Castellano

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