Pierre Kammerer L’enfant et ses meurtriers. Psychanalyse de la haine et de l’aveuglement

Huit récits cliniques suivis d'une lettre à Michel Onfray. Collection Sur le champ, Gallimard, 2014

Francoise Hermon
Psychologue clinicienne et psychanalyste membre du cercle Freudien exerçant à la consultation médico- psychologique de Chaville a publié en …. dans la revue Patio no 3 L’inconscient à l’œuvre, « Trajectoire orale ». En 2008, dans le bulletin du Cercle Freudien « La destructivité en psychanalyse ».

Françoise Hermon-Vinerbet a lu « L’enfant et ses meurtriers »

Ce livre est un manifeste à l’usage des psychanalystes et une démonstration de ce que la psychanalyse peut être un soin pour des sujets en grande souffrance.

Pierre Kammerer s’attache à exposer sa pratique avec des patients difficiles. 

Il les reçoit en général entre trois et cinq fois par semaine et module fréquence et paiement des séances selon ce qu’il perçoit de la singularité des nécessités du moment.

Soucieux d’un cadre ferme mais souple dans les aménagements, il peut intervenir dans la réalité de  ceux qui viennent à lui s’il le juge opportun.
Ainsi il peut conduire l’un d’eux aux urgences un dimanche, afin d’avoir une ordonnance, et recevoir les parents d’un adulte s’il pense utile d’avoir des précisions sur la manière dont ils l’avaient perçu quand il était enfant.

Face à la perversion, il n’hésite pas à s’opposer et à s’interposer, faisant un signalement au juge lorsqu’il constate une maltraitance envers l’enfant dont un parent vient lui parler, se refusant à se faire l’analyste complice d’agissements qui vont se perpétuer.

Il s’agit pourtant bien d’une analyse freudienne où la clinique du traumatisme ne gomme en rien la place de ce qui est l’activité fantasmatique, même si l’on peut penser parfois qu’à travers les interprétations dispensées, la réalité des personnes dont parle le patient n’est pas toujours bien  distinguée de la manière dont le patient peut la subjectiver. Pierre Kammerer s’appuie sur plus d’un maître : Ferenczi avec son insistance à repérer le traumatisme et la flexibilité de sa technique, Winnicott quant à son utilisation du jeu et de l’espace transitionnel, Nicolas Abraham et Maria Torok pour leur mise en lumière du transgénérationnel, enfin Françoise Dolto, tout particulièrement en référence aux castrations symboligènes. Il ne manque pas non plus de rendre hommage à ses pairs, pour n’en citer que deux, Heitor de Macedo et Philippe Réfabert avec lesquels il entretient de fructueux partages de théories et de pratiques.

L’amitié qui appartient au champ de ce qu’on nomme amour imprègne cet écrit, et son auteur ne se prive pas d’en témoigner à ceux dont il prend soin.

La conduite de ses cures est animée par un puissant désir d’analyser et de soigner qui l’amène à prendre tour à tour dans le transfert, la place de l’autre secourable, celui d’une mère attentionnée ou d’un père symbolique, là où ils avaient manqué à son patient.

Pour ce travail qu’on ne peut qu’admirer, c’est de la prise en charge qu’il serait juste de parler, et pour ce faire Pierre Kammerer demande à ses patients de reconnaître certains principes incontournables : l’interdiction d’inceste évidemment, mais aussi celle de reproduire le traumatisme qu’ils ont subi sur leur objet privilégié, qu’il soit enfant ou bien adulte, amant, conjoint.

Par ailleurs il insiste sur le caractère dommageable de la position de thérapeute occupée par l’enfant vis-à-vis de ses parents, situation dont les bénéfices pour l’enfant ont un envers des plus coûteux.

Pierre Kammerer se donne pour tâche de démasquer sans relâche la haine manifeste que ses patients ont eu à affronter sans avoir pu le plus souvent l’identifier, car l’enfant est toujours prêt à s’effacer pour éviter, d’une part de perdre l’amour de son parent s’il le reconnaissait comme meurtrier, mais aussi pour éviter de risquer de se sentir lui même le meurtrier d’un parent qu’il devrait tuer pour exister. C’est ainsi que le processus d’identification à l’agresseur qui a eu lieu dans le passé donne lieu dans le présent d’adulte, à un aveuglement tenace qui fait le lit de l’éternelle répétition.

Ce livre on ne peut plus revigorant, ne laisse cependant pas, et heureusement, d’ouvrir sur un débat.

Le courageux parti pris de raconter ce qu’on appelle « des cas cliniques » est un exercice qui, bien qu’utile et nécessaire, ne manque pas d’être problématique dans la mesure où il s’agit d’écrire une expérience qui n’appartient qu’à deux personnes, le patient et son analyste dans un espace et un moment qu’on peut penser difficilement transposable au cadre d’un écrit.

Bion qui dans son livre « réflexion faite », revient sur ses récits cliniques à propos de patients hallucinés, écrit qu’il faut se prémunir des certitudes qui nous rassurent et il appelle les analystes à considérer les « soi disant comptes rendus d’expérience analytiques comme des modèles comparables aux modèles scientifiques. » On ne peut se dispenser de les mettre à l’épreuve.

Par ailleurs on peut se demander si le caractère affirmatif et parfois pléthorique des interprétations produites ne risque  pas d’entamer le patient dans ses capacités à trouver par lui même son propre cheminement :

« comme si il n’y avait pas de différence entre la psychanalyse en tant que savoir sur la vérité du désir, et la vérité sur le désir telle que la scelle son partage avec un entendeur surpris » (Moustapha Safouan, La psychanalyse, science, thérapie et cause).

Ces réserves ne doivent pourtant en aucun cas diminuer le caractère éminemment précieux de la générosité de notre auteur, elles doivent être pondérées par le fait que pour ceux et celles dont il s’agit dans ces récits, l’enjeu psychothérapeutique était vital, et l’insistance sur le caractère inopiné du désir inconscient secondaire à la réalisation de conditions préalables.

L’hypothèse à l’œuvre dans les parcours qui nous sont relatés est celle d’une métapsychologie préliminaire à la naissance d’un sujet désirant, d’un exercice de la psychanalyse avec des patients dont la sécurité de base reste à constituer, qui ont besoin d’être tenus et contenus.

La vertu de cet ouvrage n’est pas dans le registre de l’allusif ou du dubitatif, mais dans la conviction que l’humain peut avoir prise sur son avenir, et la vitalité de l’engagement dont ce psychanalyste fait preuve auprès de ses patients se double d’un engagement proprement politique.

Il en témoigne dans la lettre qu’il adresse à Michel Onfray, pour le travail de la culture et contre le néolibéralisme délétère qui ne connaît que la logique économique et met à mal ce que la psychothérapie institutionnelle, elle même fondée sur la psychanalyse, a apporté d’humanité au soin psychique en collectivité.

Francoise Hermon

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