Pierre Martin La théorie de la cure d’après jacques Lacan

Suivi de Vocabulaire de psychanalyse, Préface de Marc Lévy Paris Economica Anthropos, 2012.

 

Robert SAMACHER,
Psychanalyste, membre de l’Ecole Freudienne, ex-maître de conférences à l’Université Paris-Diderot (Paris 7).
Dernières publications : Participation à l’ouvrage Ella Sharpe lue par Lacan sous la direction de M.L. Lauth, Paris, Editions Hermann, 2007. – « Le corps des déportés et le Yiddish » dans Yiddishkeyt et psychanalyse, sous la direction de Max Kohn, Paris, MJW Fédition, 2007. – « Humour juif et mélancolie », dans « Culture yiddish et inconscient », sous la direction de Max Kohn, revue Langage et inconscient, revue internationale, Limoges, Editions Lambert-Lucas, 2007. –  » Les progrès de la science jusqu’où ? » sous la direction de Robert Samacher, Emile Jalley, Olivier Douville, revue Psychologie Clinique n° 23, Paris, L’Harmattan, printemps 2007.

Sous l’intitulé La théorie de la cure d’après  Jacques Lacan, ce livre reprend dans une première partie, dix leçons données par Pierre Martin à l’hôpital psychiatrique de Font d’Aurelle du 3 mars au 11 mai 1965 dans le cadre d’un cours de Certificat de psychologie générale à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Montpellier.

La deuxième partie s’intitule Vocabulaire de psychanalyse. Elle reprend sans modification les articles de P. Martin, publiés sous la direction de Robert Lafon, dans le Vocabulaire de psychopédagogie et de psychiatrie de l’enfant (PUF), tels qu’ils figurent dans la troisième édition, cette de 1973.

A l’époque, en dehors du Vocabulaire de la psychanalyse de J. Laplanche et J.B. Pontalis, il n’existait aucun vocabulaire de la psychanalyse référé à l’enseignement lacanien, P. Martin apportait ainsi un instrument de travail précieux.
Michel Gardaz dans sa note de présentation souligne de son côté la rigueur et l’extrême pertinence des définitions quant à l’objet de la psychanalyse.

La publication de ce vocabulaire dans ce même livre s’avère pertinent car il est nécessaire à la lecture des dix leçons qui proposent un certain nombre de notions qui sont considérées comme acquises dans le texte mais qui demandent à être définies, d’autant que ces leçons sont particulièrement denses et ambitieuses.

Pierre Martin était psychanalyste membre de l’Ecole Freudienne de Paris, il prit la direction d’un secteur psychiatrique à l’hôpital psychiatrique de Montpellier en 1951. Il fut très proche de Jacques Lacan, et à la suite de la dissolution en 1981, premier président de l’Ecole de la Cause Freudienne. Son ouvrage Argent et psychanalyse publié en 1984 chez Navarin, l’avait fait connaître.

Pierre Martin est décédé en 1992. C’est à titre posthume que certains de ses travaux insuffisamment connus sont réédités et publiés dans ce livre.
Dès la présentation de ces leçons, Pierre Martin situe la position de l’analyste dans la cure : « Lorsqu’est maintenue dans le transfert l’écoute par l’analyste de son propre désir en vue de permettre à son patient de situer à la place de l’Autre son authentique présence d’analyste, rien ne vérifie que le Moi s’identifie à l’être-conscient… Aussi bien ce qui est en cause dans l’interprétation analytique n’appelle ni explication ni confrontation au dire du patient par lui-même mais un changement de signifiant modifiant la synchronie du Sujet. Le terme de l’analyse ne rencontre ni identification à l’analyste ni le renforcement du Moi, mais la correcte orientation du Désir comme symbole du manque-à-être : Wo es war, soll ich werden… phrase pour laquelle il propose la traduction suivante : « Là où c’était – là où le sujet de l’inconscient était-, c’est mon désir que –je – sujet de l’énoncé- vienne à être ».

Ceci spécifie l’originalité de la position lacanienne en rupture avec les post-freudiens.
Les dix leçons ont pour objet de démontrer et soutenir ce que Pierre Martin avance dans sa présentation.
La leçon 1, est une introduction qui porte sur les notions générales de la cure psychanalytique, elle pose la question de « Comment entendre dans l’œuvre de Freud les fonctions de l’Inconscient, du Préconscient, de la Pulsion et de la Conscience ?

A la suite et en annexe, il propose le commentaire de deux textes de Freud « Le rêve, processus d’accomplissement du désir »(1) et Les deux principes du fonctionnement mental »(2) Puis, il aborde ensuite dans la leçon 2 « L’Ordre du signifiant » qui va lui permettre d’affirmer que : «  Sous le signe du Désir qui procède de l’ordre du signifiant s’instaure toute culture. Elle s’établit en transposant le manque à être fondamental du Sujet selon les multiples sens, ou signifiés, de l’interdiction ».

Les leçons 3 et 4 portent sur « Le processus de l’identification dans son rapport au signifiant »
P. Martin propose un commentaire du Séminaire IX de Lacan, « L’identification », prononcé en 1961-62,
Il amène en même temps une conceptualisation de a qui lui est propre, par exemple lorsqu’il affirme que l’objet « n’est pas » dans son étendue, mais dans le « reste » de la confrontation de $ à Ⱥ soit en (a).

Dans ce qu’amène P. Martin, l’objet  partiel semble parfois confondu avec l’objet a, par exemple « La relation Ⱥ à $ ainsi supportée en (a), à savoir dans les objets partiels et successifs du désir de Ⱥ, est la relation matricielle de toute relation d’objet ». Certaines des formules proposée paraissent  elliptiques et demanderaient à être explicitées car elles ne vont pas de soi. Ce n’est pas forcément ce que l’on trouve dans le Séminaire de Lacan, le lecteur que je suis, aimerait mieux repérer l’articulation faite par Pierre Martin entre le Séminaire IX de Lacan et les prolongements qu’il en donne.

Dans la leçon 5, Pierre Martin revient sur « Ce que concerne l’Œdipe » en particulier les trois temps de la mise en place de la métaphore paternelle puis dans la leçon 6, il parle de « Ce qui est en cause en psychanalyse à propos de castration » ce qui lui permet de conclure cette leçon en soulignant l’impasse du « jeu leurrant des identifications du Sujet que pour le discours du patient se poursuit dans l’affrontement spéculaire, mortifère, ce qui s’illustre en phantasmes d’amputation. L’analyste peut y trouver son trébuchet en une relation duelle où l’abord psychologique du complexe de castration dresse pour s’y conforter l’imaginaire organisation d’un drame de « sentiments » d’amour et de haine et de règles d’interdit. L’écueil doit s’y repérer pour que l’avènement en quoi s’achève la structure  S(A)/ puisse, dans l’analyse, se proposer au patient à travers l’angoisse de castration dans le dévoilement du « Rien » de la Demande ».

Il met ainsi en cause l’intersubjectivité et le risque d’exclusion de l’Autre, laissant place à une confrontation duelle imaginaire mortifère méconnaissant l’enjeu de l’analyse qui aboutit à la reconnaissance du « rien » au lieu du manque.

Il continue ensuite en abordant dans les leçons 7 et 8 la question du « transfert », il fait d’abord un commentaire du Séminaire VIII, de Lacan « Le transfert », qui lui permet de situer la question du manque et de l’amour : « En tant que signification, l’Amour est une métaphore. C’est comme sujet du manque que l’aimant vient se substituer à la fonction de l’aimé qui est objet »  ce qui lui permettra dans la leçon suivante de situer l’agalma dans son rapport au désir, et comme objet du transfert. Ce qui mène à l’analyste en position de sujet supposé savoir, tenant lieu de a, faisant en sorte qu’un discours puisse se tenir un discours où le sujet reporte sans cesse, dans le transfert, le moment où le « Sujet se constitue au lieu de l’Autre » en maintenant ainsi ouvert le lieu de la division.

Dans les leçons 9 et 10, Pierre Martin peut alors déployer ce qu’il entend par « La conduite de la cure ». Il affirme que ce qui se dénomme « contre-transfert » est une sorte d’allégation à la réplique que susciterait le transfert, et noue en vérité aux fascinations de l’image spéculaire : la situation de transfert dans ses coordonnées  implique aussi bien l’analyste que son patient. »… « Ce dont joue l’analyste, ce n’est pas l’Inconscient brut  mais l’Inconscient plus l’expérience de cet Inconscient (Freud) ». Il pose ensuite la question du symptôme, du transfert négatif, de la dénégation et du refoulement pour en venir à affirmer que « l’analyse est « rencontre », ayant avec l’analyste valeur de signifiant incarné, de métonymie, d’introduction par conséquent de manque à être comme cœur de l’expérience de la dite analyse…L’analyse de saurait marquer son terme dans une identification à l’analyste, mais en deçà et au-delà de toute relation sur le mode duel. »

« Dans le silence où « demeure » l’analyste, entendre n’est pas comprendre. Entendre quoi… : la réponse que le patient demande ? Mais cette demande est sans objet, il s’agit d’une Demande radicale à laquelle il n’y a rien à répondre, tel est l’objet d’une analyse. »
Pour Pierre Martin, aboutir et reconnaître ce rien, tel est le prix de l’analyse.

Bien qu’elles s’adressent aux étudiants d’un Certificat de Psychologie Générale, ces leçons me paraissent plus à la portée de professionnels chevronnés ayant déjà une connaissance de Freud et de Lacan, les étudiants pouvant néanmoins bénéficier de la richesse du Vocabulaire de psychanalyse proposé.

Je conclurai que Pierre Martin en des formules concises et précises, rassemble en peu de pages des éléments cliniques et théoriques fondamentaux qui rendent compte de l’élaboration théorique des élèves de Jacques Lacan en 1965. Ces conceptualisations demandent qu’on les réarticule avec ce qu’apportera ensuite l’enseignement lacanien avec les quatre discours et en particulier les apports concernant l’objet a.
Ces leçons sont un document qui rend compte de là où en étaient la clinique et la théorie lacanienne en 1965.

Robert Samacher

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(1) Freud S., Standard EVdition, Vol. , p. 564.
(2) Freud S., Standard Edition, Vol. XII, p. 219.

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