Le livre de Patricia Gherovici est à découvrir et à lire pour plusieurs raisons. Alors qu’en France et en Europe le débat sur les transgenre a pris de l’ampleur, il n’est pas inutile de s’intéresser à la situation américaine particulièrement aux Etats-Unis où l’opinion comme les professionnels n’ont pas la même attitude vis-à-vis des transgenre. C’est le point de départ de l’auteure. Au demeurant Patricia Gherovici ne cache pas une forme de compréhension, voire d’affection envers les personnes qui s’interrogent sur la transition mais à contrario passe sous silence les questions liées à l’âge ou encore les indéniables effets mercantiles de celles et ceux qui peuvent être aidés dans leur intention par des prescripteurs d’ hormones, voire des chirurgiens sans scrupules et ce, sans qu’une phase d’élaboration suffisamment longue n’ait pu être mise en place ; il convient aussi de souligner les situations où le retour en arrière est souhaité, situations qui sont maintenant assez nombreuses, devenant, on le conçoit aisément tragiques.
Le genre doit être incarné, le sexe symbolisé écrit plusieurs fois Patricia Gherovici qui ajoute que la différence sexuelle dépasse la question de la sexualité puisqu’elle a trait aux questions d’incarnation, aux défis de la vie dans un corps sexué et mortel.
L’auteur fait remarquer que traiter de la différence sexuelle implique d’assumer ses préférences sexuelles et de genre ; toutefois c’est un problème pour tout le monde avec un constat qu’on ne peut que partager :En matière d’identité ou de choix d’objet sexuel, tout le monde échoue ; certes, mais alors pourquoi eu égards à la difficulté, s’en remettre à la transition : ne faut-il pas affronter cette forme d’aporie en se confiant à un psychanalyste ; autrement dit, ne faudrait-il pas tenter une élaboration telle que la psychanalyse le permet plutôt que de passer à l’acte vers une solution : élaboration ou solution car plus précisément ici, la solution au symptôme sera de remettre en question le genre. Pour la psychanalyste qu’est Patricia Gherovici le malaise qu’elle ressent à écouter ses patients dans son cabinet lui fait entendre que c’est une question de vie ou de mort.
Dans sa traduction et dans sa théorisation, Patricia Gherovici, relève que la cohérence du corps et du genre (leur coïncidence) est en soi une forme de fiction qu’on assume par identification. Ce à quoi, on peut souscrire mais, notons-le, c’est le lot de tout le monde.
Quel serait, sans pathologiser les trans (ce dont se plaint l’auteure) la difficulté particulière que ceux-ci affrontent et qui les bouleverse ? Patricia Gherovici propose que pour ces personnes le phallus n’est pas opérationnel ; cette assertion n’est pas inutile et sonne juste mais que faire du nombre désormais impressionnant de celles et ceux qui ne se reconnaissent pas dans leur genre de naissance ; autrement dit qui ne sont pas des cisgenre ? Leur identité se veut non binaire.
A cet endroit, je me permets une digression en faisant deux remarques : à une époque où la faiblesse du politique qui répond de moins en moins en termes d’identification, voire d’idéal à un parti ou à un mouvement, (abstention record en particulier des jeunes) ou encore, deuxième remarque le en même temps qui a porté au pouvoir le président Macron et qui dans ce cas montre que les digues ont été rompues entre la droite et la gauche ; de quelle façon ces données entrent-elles dans le débat ? On ne peut pas ne pas s’interroger sur cet environnement ambiant, plus fluide pourrait-on dire tout au moins en France avec des effets indéniables sur de nouvelles positions subjectives qui lèvent des interdits de penser. On pourrait bien évidemment relier ou apparenter tout au moins s’interroger sur la question des transgenre eu égards au contexte sociétal dont le politique fait partie mais ce serait nous entrainer trop loin du livre de Patricia Gherovici.
La question se pose néanmoins pour comprendre comment un verrou a sauté car pendant longtemps, nous faisions référence à la psychose lorsqu’une situation de transition se présentait et la question du genre n’était soulevée que dans un contexte sub-délirant.
Ça n’est plus le cas aujourd’hui ; sait-on par exemple qu’il existe aux EU plus de cinquante appellations possibles en relation au genre ressenti tant et si bien qu’invoquer la psychose n’est plus à ce point pertinent.
Toutefois Il faut signaler aussi le nombre de suicides très important par rapport à la population générale chez les transgenre.
C’est l’identité qui est en cause, ce que relaie l’auteure, dans la mesure où nous le savons, aucune inscription ne la garantit et qu’il faut en quelque sorte supporter que le sujet comme le soutient Lacan soit exclu de sa propre origine. Toutefois ces questions d’identité n’avaient pas atteint jusqu’à une période finalement récente, l’identité de genre elle-même ! C’est le cas de la génération Z pour qui l’anatomie n’est plus le destin.
Très pertinente lectrice de Lacan, Patricia Gherovici introduit dans son livre une façon de comprendre et de théoriser le phénomène transgenre avec la distinction qu’opère Lacan entre symptôme et sinthome. Elle commence par citer Dany Nobus : La véritable question freudienne ne serait-elle pas : Pourquoi et comment quelqu’un devient-il sexuellement normal ?
Il me semble que si cette façon de penser est acceptée qui, au demeurant pour l’auteure, retrouverait les fondamentaux freudiens, la lecture du phénomène transgenre pourrait se modifier ; c’est ce que soutient Patricia Gherovici qui fustige une lecture de Freud qui colle à l’ordre établi ; il me semble que l’ouvrage de Charles Melman et Jean-Pierre Lebrun (la dysphorie de genre, ERÈS) va dans ce sens et, à un moindre degré, l’association La Petite Sirène (Céline Masson et Caroline Eliacheff) avec une différence pour cette association car ses intentions sont de se tenir en éveil, de faire savoir, d’alerter quand il le faut. Toutefois nous sommes loin en France de la façon de penser des américains même si des voix s’élèvent aujourd’hui Outre-Atlantique pour garder un cap plus prudent. A contrario le journal Libération a publié une tribune (le 22/07) de Maryse RIZZA et Paul PRECIADO qui revendique le droit d’accompagner son enfant dans son identité de genre.
Accompagner l’enfant oui, mais par des psychiatres, des psychologues des psychanalystes rompus à la neutralité bienveillante telle doit être la position, me semble-t-il, de ces professionnels.
L’innovation qu’apporte Patricia Gherovici est de considérer en prenant appui sur Lacan que la transition de genre est une trouvaille, une invention qui s’apparente au sinthome ; ainsi les trois catégories du symbolique de l’imaginaire et du réel peuvent-elles trouver le quatrième rond nécessaire pour ne pas se rompre. Le sinthome, autrement dit ce qu’accomplit la transition apporte ce quatrième rond qui fait tenir l’ensemble ; telle est l’hypothèse de Patricia Gherovici (qui accorde à Catherine Millot l’antériorité de l’idée) pour comprendre les trans.
Au-delà du sujet traité qui brouille par ses aspects polémiques nos raisonnements, ce livre est remarquable par la plongée qu’il effectue au cœur de la psychanalyse, par ses développements théoriques et par ses exemples cliniques. A lire sans délai !
Guy Dana
Psychanalyste, membre de Cercle Freudien.