Pierre Eyguesier Psychanalyse négative

Editions La Lenteur, 2015

Francoise Hermon
Psychologue clinicienne et psychanalyste membre du cercle Freudien exerçant à la consultation médico- psychologique de Chaville a publié en …. dans la revue Patio no 3 L’inconscient à l’œuvre, « Trajectoire orale ». En 2008, dans le bulletin du Cercle Freudien « La destructivité en psychanalyse ».

 

Le titre de ce livre annonce la virulence de Pierre Eyguesier qui, avec ce recueil de textes, nous offre un ensemble de réflexions sur ce qui pourrait faire revivre la psychanalyse malade de se vouloir immortelle, malade de par la crispation des analystes qui s’y cramponnent de manière défensive sans vouloir rien changer.
Parlant de leurs associations, voilà ce qu’il écrit: 

«Si cette communauté seconde se montre réfractaire à tout engagement, si son dur désir de durer, si son souci de l’avenir, de reconnaissance par les pouvoirs publics prennent le devant sur l’effervescence créatrice, bref si les associations de psychanalyse elles mêmes se conforment amoureusement au monde de l’utile, de l’économie restreinte, alors il va falloir tenter une manœuvre de diversion du côté du négatif.».

Il s’agit d’un livre touffu mais lumineux dont l’enjeu est le sauvetage de l’œuvre de Freud revisitée par Jacques Lacan, pour  que revive la psychanalyse, après avoir été négativée et transformée par une révolution traversant d’une part, l’ordre du politique qui règle nos sociétés capitalistes, et d’autre part l’ordre sexuel qui depuis Freud s’est inversé, rendant obligatoire l’exercice d’une sexualité auparavant taboue.
C’est à cette condition que la psychanalyse redeviendrait une praxis révolutionnaire vivante, étonnante, drôle et néanmoins tragique.
Il nous faut vider ce monde de certitudes auquel désormais elle participe, nous dit Pierre Eyguesier, et remettre en son centre l’errance de Don Quichotte, partir à nouveau «Sur la route» avec Kerouac, un œil tourné vers la misère sociale avec Zola, faire l’éloge de la lenteur avec Walter Benjamin, et avec Marx, lutter pour trouver une issue au monde totalitaire capitaliste.
Le ton du livre est celui des conversations enflammées  partagées avec des amis qui nous sont chers mais à qui on ne veut rien passer, polémique et enjoué, familier, parfois brutal, mais aussi d’autres fois pondéré, précis, méthodique et circonstancié.
Des analyses théoriques philosophiques et politiques, des anecdotes privées et   des situations cliniques se côtoient, donnant à son propos un caractère concret et néanmoins savant.
C’est un écrit qui prend parti, ne cherche pas à être poli ni de bon ton, un long billet d’humeur qu’étayent des analyses précises et détaillées.
La structure c’est l’histoire, nous dit Gérard Pommier cité ici par Pierre Eyguesier qui se fait promoteur du concept d’Histoire Politique.
Il étaie son propos sur Théodor Adorno et son livre intitulé « Minimalia Moralia »

« C’est essentiellement la société qui fait la substance de l’individu ».
« L’infâme petit secret des analysants restera infâme, littéralement indigne d’être divulgué, tant qu’il ne sera pas relié à l’infâme grand secret du monde bourgeois: son crime. »

Lire le drame de l’humain à travers l’unique prisme du fantasme œdipien, c’est s’éloigner de ce que l’auteur nomme « la curiosité hystérique », pour constituer un savoir sur le sexe, une parole didactique,; ce qu’il appelle –l’hystérie curiosité-, ne demande plus au psychanalyste de se taire, mais 

« elle attend qu’il donne des preuves de sa séparation d’avec le maître capitaliste, et simultanément de sa séparation d’avec l’Autre psychanalytique qui s’est constitué comme savoir médical….. ».

Cela entraine la nécessité pour l’analyste de parler et de parfois se dévoiler.
La libération sexuelle n’est pas l’ultime solution, le concept de désublimation répressive inventé par Marcuse en rendait déjà compte, lui qui stigmatisait « cette recherche indéfinie d’une satisfaction des besoins et des désirs, consubstantielle au capitalisme assuré par là même d’une production de biens illimitée ».
Dans le chapitre intitulé :Le mai-68 de Jacques Lacan, l’invention del’objet  « a » est assimilée à la trouvaille qui nous permettrait de sortir d’un monde surchargé de machines inutiles et nuisibles issues de la science et de la technique et dont l’aboutissement est le néo-libéralisme.
Le plus de jouir Lacanien mis en rapport avec  la plus value de Marx, conduit Pierre Eyguesier  à s’attarder sur le livre de Charles Melman: L’homme sans gravité, nous en donnant une analyse sans indulgence mais judicieuse et pertinente.
Il reproche à son auteur de se mettre en dehors de l’aliénation qu’il dénonce chez ses patients soumis à la jouissance illimitée, comme si lui l’analyste, échappait à l’emprise de ce monde où la jouissance se voit prescrite et sans limite:

« n’étant pas capable de réaliser qu'(il a été lui même)prisonnier de la logique qu(‘il dénonce, il se met) en position de juge suprême et d’imprécateur, refusant (sa) sympathie… ».

Il ajoute que si, comme le dit Lacan dans son texte sur l’agressivité,  les patients qui nous arrivent se trouvent dans une « formidable galère sociale », c’est là que les analystes sont convoqués et qu’ils ne peuvent se dérober, que c’est avec« fraternité » et non mépris et morgue qu’ils peuvent envisager de réagir.
La voie préconisée pour sortir  des effets dévastateurs de la sexualité obligatoire, est pour Pierre Eysseguier, l’exercice de la liberté de penser sans but et librement, de faire la sieste et de rêver, d’œuvrer et non pas de trimer.
La distinction du travail et de l’œuvre, c’est à Hannah Arendt qu’il l’emprunte et avec elle il  insiste sur le caractère salvateur de l’œuvre, chargée de subjectivité, lui opposant le caractère destructeur du travail quand il exclut toute inventivité et se trouve pris dans l’engrenage d’une production forcenée, obéissant exclusivement aux lois du profit, au détriment de l’inventivité et des rapports humains qui font lien et sens commun revigorant:

« L’homme est un être social, un animal politique qui peut immédiatement aller mieux s’il est embarqué dans une action commune, et immédiatement aller plus mal s’il emboite le pas, qui a été celui de Freud comme celui de toute la modernité viennoise, du repli sur l’intime, faute de comprendre le monde et de vouloir le transformer ».

Psychanalyse négative :Casa do fim et Autres textes, bien qu’écrit comme un journal de vacances à l’image des cahiers de vacances des enfants, possède le charme des écrits  nécessaires à ceux qui s’en acquittent. Aussi éloigné que possible d’un ouvrage de commande; il a la vertu énergique  de celui  qui défend l’objet qui lui est cher, mais refuse d’être aveugle, tant par  rapport à son objet, la psychanalyse, que par rapport au caractère tout relatif et subjectif de ces assertions personnelles de psychanalyste déterminé et limité.
Au terme du chemin sinueux  tracé par cet ouvrage essentiellement critique dont le caractère libre et associatif fait penser aux «  sauts et gambades » des Essais de Montaigne, peut se dégager  si l’on prend soin de tailler à travers les broussailles, une piste positive pour éclaircir une perspective qui ne soit pas uniquement négative: accepter de nous aventurer nous même avec nos patients dans les zones identifiées par Bataille (et Lacan sur ses traces )comme étant de l’ordre de la pure perte, de la dépense liée à la part maudite et au sacré, cela dans la plus grande fraternité et dans l’esprit d’une œuvre commune bien que toujours singulière, où les concepts psychanalytiques ne feraient pas office de protocoles standardisés.
La psychanalyse est une pratique à risque puisqu’il s’agit d’y dire ce qu’on ne sait pas et non de répéter des dogmes, son éthique s’origine  d’un non savoir, d’une curiosité inextinguible, de là où la  faille se montre la plus vive.
C’est là que nous convoque Pierre Eyguesier par le style même de son ouvrage qui fait preuve d’humilité, d’humour et de vigueur.

Francoise Hermon

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