Roland Chemama La Psychanalyse comme ethique

EditionsEres Collection Humus

Danielle Eleb, de formation analytique et docteur en philosophie, Danielle Eleb a enseigné au
Collège International de Philosophie dans le cadre de l’intersection psychanalyse, et
au Département de Psychanalyse à l’Université de Parie8.Elle a animé quelques
séminaires à « Espace Analytique »notamment: »Freud et Lacan ou la rencontre du
réel » .En 2005, elle a publié un livre aux Éditions ERES: « Figures du destin,Aristote
Freud et Lacan ou la rencontre du réel »(préface d’Alain Badiou)Ce livre a été traduit
en espagnol par les éditions Manantial à Buenos- Aires. En janvier 2011, une nouvelle
publication d’un entretien réalisé avec V.Jankélévitch: « Le je-ne-sais-quoi et le
presque-rien »in« Présence de V.Jankélévitch, le charme et l’occasion »(Editions
Beauchesne)

Le livre de Roland Chemama ouvre un dialogue avec les psychanalystes, les philosophes, afin d’instruire ce qu’il appelle « l’historicité du sujet » et l’homme de la Postmodernité. Quel est l’enjeu éthique de ce livre? L’auteur s’adresse à nous, parle en son nom, à partir d’une place paradoxale; en étant ni fidèle à la lettre, ni dans la récusation d’un savoir qui lui a été transmis.
Le Sujet Désarmé.
Il introduit les questions actuelles sous le titre «  le sujet désarmé », et l’éclaire par la fonction paternelle: « si traditionnellement, c’est la référence au père qui permettait au sujet de repérer son désir et ce qui venait le limiter, cette référence tient moins bien aujourd’hui. » (La psychanalyse comme éthique : page 14 15)
Il évoque les questions auxquelles les analystes sont confrontés, face aux transformations de la famille traditionnelle. L’inquiétude porte sur l’éventuelle toute puissance maternelle : il convient de ne pas enfermer l’analysant dans un jugement définitif. L’analyste n’est pas un législateur, ni un moraliste, sa position est d’ordre éthique en se distinguant de la morale. Jacques Lacan met l’accent sur l’indétermination du sujet en analyse, au même titre que l’inconscient, un indéterminé de pur être qui aspire à la détermination dans le transfert. Pour Freud, rien de définitif ne se décide avant la fin de la cure; cette fin peut décider du choix du sujet qui n’est pas dans la répétition du passé dans le présent.
Si « la place laissée vide » (ibid. page 21) par le père, par l’homme, renvoie l’enfant à l’invention de son destin, la femme devenue mère, l’est tout autant. Cette place laissée vide dans nos sociétés contemporaines caractérise la séparation entre un homme et une femme, femme en deuil d’un amour et d’un partenaire, qui se retrouve souvent sur le divan de l’analyste.
Roland Chemama soulève une question pertinente: « devons nous tout inventer? »
En effet, ce n’est pas dans « un ou bien ou bien » que le sujet de la modernité pourra se construire. Celui qui a eu pour héritage une transmission parentale, culturelle, qui a fait de « bonnes rencontres », n’en est pas moins confronté à des épreuves, celles du réel.
Que fera t il de ce réel auquel il n’était pas préparé, sans références à ce qui lui a été transmis? Ainsi, ni le père, ni le maitre, ni le religieux ne le dispensent de cette part d’angoisse et de choix, choix du désir du sujet, qui marque à la fois sa liberté et sa responsabilité.
A cette absence de garantie, Roland Chemama oppose la «  fonction paternelle » comme soutien du sujet. Cependant, il souligne que Lacan avait pu dire du « Nom du Père » qu’il était sans doute possible pour le sujet de s’en passer à condition de s’en servir. (Ibid. page 23)
Nous pouvons soulever la question suivante : n’est ce pas l’analyste qui autorise le patient à se passer du Nom du Père, et, à s’en servir? Il ne s’agit pas de célébrer le père comme dans la religion, mais d’en tenir compte; nous pouvons donner l’exemple de l’interdit de l’inceste qui est la condition même du désir.
La Responsabilité du Sujet
Si la psychanalyse a démontré les déterminations inconscientes du sujet humain, « celui ci pour finir, se retrouve face aux responsabilités qui sont les siennes » (ibid. page 26) Cette responsabilité du sujet concerne aussi bien l’analyste dans la direction de la cure.
Freud distinguait culpabilité inconsciente et responsabilité du sujet à la fin de la cure; un allégement de la culpabilité inconsciente du patient au profit de sa responsabilité, ou, tout au moins, une reconnaissance de sa « part » prise dans les rencontres du réel.
Tout interpréter? L’auteur récuse avec pertinence la prétention de certains analystes à donner leur avis sur le social, comme sur l’individu. Or, une interprétation suppose un dispositif, un dialogue analytique, et, ne peut avoir d’effet sans le cheminement du patient. Ces demandes sont toujours d’actualité, mais le monde a changé: il ne s’agit plus de tout comprendre, mais, plutôt d’entendre le »désarroi » de celui qui interroge l’analyste. Le sujet qui pose la question est devenu un « non dupe » au sens de Lacan, il ne reconnaît plus ce qui lui a été transmis et, ne croit plus « aux représentations mythiques ou philosophiques, qui donnaient sens au monde » (ibid. page 27)
Quel est l’objet de ce désarroi contemporain?
R. Chemama prend l’exemple des rapports entre hommes et femmes, et, au delà, il pose la question de ce qu’est un homme, de ce qu’est une femme. Il n’y a pas de « nature » masculine, pas plus que de « nature » féminine; ainsi, l’analyste intervient sur le plan éthique, et ne peut s’appuyer sur l’autorité d’un savoir ou sur des valeurs idéologiques.
Cette exigence éthique n’est pas vouée à la perte de tout repère .Si Lacan disait que « le statut de l’inconscient n’était pas ontique (ne concerne pas l’être au sens de la métaphysique) mais qu’il était éthique » R. Chemama nous propose de tirer les conséquences de cette thèse.
Tout d’abord, il interroge le champ de la pratique, qu’il qualifie d’emblée d’éthique.
Cette pratique est aussi un lieu ou le sujet moderne, confronté à l’absence de garantie, a accès à un changement de discours; nous pensons que le discours analytique, tout en soutenant cette absence de garantie, permet au patient de s’orienter avec plus de lumière dans son existence.
Puis, il analyse les aspirations éthiques contemporaines à partir de la lecture d’un livre de  Jean François Lyotard: « La Condition postmoderne » (édition de Minuit 1979) selon l’auteur, nous vivons la fin des grands récits: quelles sont ses conséquences sur l’homme et la société?
La fin des grandes idéologies a des effets subjectifs, et les analystes ne peuvent y échapper. Si certains tentent de nier »l’historicité du sujet »en affirmant que « le sujet de l’inconscient, reste partout et toujours le même »R. Chemama, se situant dans l’orientation de Charles Melman et de Jean Pierre Lebrun, soutient une analyse qui « tienne compte du malaise lié aux mutations sociales du 20siécle » (R. Chemama : ibid. page 33)
Posons les questions : quelle est cette conception du sujet de l’inconscient pris dans la modernité?
De quel changement s’agit-il? Des précisions semblent nécessaires, bien que le sujet soit responsable de son inconscient comme l’écrit l’auteur.
Voici, en quelques lignes, la réponse de R. Chemama: « faut-il dire que les mutations de la postmodernité modifient le fonctionnement de l’inconscient? Ce n’est pas sur. Nous n’avons que des aperçus partiels sur ce fonctionnement, et, toujours susceptibles d’être remis en question. Peut on même dire, à cet égard, que le sujet de l’inconscient se définit d’être représenté par un signifiant pour un autre signifiant? Lacan semble avoir remis en question cette définition. Cela ne veut pas dire qu’il faille se rallier aux thèses de Colette Soler sur « l’inconscient réel », mais, insister sur le statut éthique de l’inconscient, qui se déploie autrement, selon la façon dont il se trouve questionné par tel ou tel analyste. La position subjective par rapport à l’inconscient n’est pas partout et toujours la même, me paraît plus évident.»
Colette Soler dans son livre: « Lacan, L’inconscient réinventé » (PUF) soutient que « l’inconscient freudien structuré comme un langage » ne constitue qu’une étape dans l’élaboration de Lacan. L’inconscient réel serait la seconde thèse de Lacan.
Mais, quelle est l’analyse de Colette Soler? « Si le noyau du symptôme vient du réel hors sens de lalangue obscène, il ne peut se résoudre que par ce même réel » C’est à partir de là que Lacan redéfinit l’inconscient comme réel, hors sens, et, la position de l’analyste dans la direction de la cure. Elle précise ce qu’elle entend par l’inconscient « savoir parlé de lalangue, savoir qui est au niveau de la jouissance » Il s’agit d’une « rencontre accidentelle entre verbe et jouissance produite au gré des contingences des premières années » (Lacan, l’inconscient réinventé : page 39)
Elle distingue l’inconscient « élucubration », déchiffré, qui permet au sujet de s’approprier quelques unes des lettres de son symptôme; et, « l’inconscient lalangue » qui n’est pas du symbolique, qui est réel, hors de prise.
R. Chemama reconnaît dans la proposition de C. Soler « l’analyse conduit à cerner le réel déterminant pour le sujet », une orientation éthique, mais aussi, politique. Il précise que sa lecture du discours capitaliste est une tentative éthique qui relève du lien social.
« L’ouverture de l’inconscient n’est pas la même dans des conditions sociales et politiques différentes » (R. Chemama : ibid. page139).Sensible à une résistance ,qui se présente chez certains patients, comme une pseudo reconnaissance de l’inconscient, l’auteur s’appuie sur le travail de Marcel Gauchet, philosophe proche de la psychanalyse(essais de psychologie contemporaine, dans «  La démocratie contre elle même ») L’individu contemporain ne serait soucieux que de « négociation avec les symptômes et d’efficacité comportementale ».S’opposant à certaines formes contemporaines de psychothérapie, visant à modifier les comportements, au mépris de la parole du patient
R. Chemama précise ce qu’il entend par éthique dans la direction de la cure: rien, ici, de mesurable ou d’objectivable, ce qui doit être entendu, ce ne sont pas les faits, mais la parole qui s’adresse à l’analyste. Freud était attentif aux formes sous lesquelles ses patients tentaient de lui dire quelque chose. Toute évaluation du sujet masque un objectif, celui de le faire taire. A ce silence douloureux, l’éthique de l’analyste consiste à donner la parole au sujet, condition même du transfert.
La Contingence de la rencontre
En effet: « A quoi bon faire une analyse si tout ce qui peut arriver au sujet est d’emblée prévisible? » A cette question pertinente de R. Chemama, Lacan a répondu par la contingence de la rencontre entre un homme et une femme, mais aussi bien, par la rencontre entre l’analyste et l’analysant dans le cadre de la cure. C’est cette indétermination de l’inconscient, qui aspire à la détermination dans le transfert; rêves, lapsus, mots d’esprit et actes manqués signent la singularité du patient, quelque soit sa structure clinique.
Dans son séminaire: « Encore » Lacan nous parle de ce que serait une rencontre, non pas impossible, mais contingente « la contingence, je l’ai incarnée du cesse de ne pas s’écrire. Car, il n’y a rien d’autre que la rencontre, la rencontre chez le partenaire, des symptômes, des affects, de tout ce qui chez chacun marque la trace de son exil…du rapport sexuel »
Direction de la cure et fin d’analyse.
Au niveau des formations de l’inconscient, C. Soler soutient que l’analyse d’un rêve engage dans la recherche indéfinie de nouvelles significations et, nous détournerait du réel; seul le « lapsus », point de butée du discours, une « matérialité » ou selon la formule de Lacan: « On est sur qu’on est dans l’inconscient. On le sait, soi » (J. Lacan : préface à l’édition anglaise du séminaire 11, dans Autres écrits Paris Seuil)
Pour R. Chemama, l’interprétation du rêve sert de « propédeutique à l’ensemble du travail de la cure », en confrontant l’analysant à un texte étrange ou le sens ne peut être univoque. Mais le réel n’est pas plus univoque, en effet, « le nœud du symbolique, de l’imaginaire et du réel peut avoir lui même valeur de réel » (La psychanalyse comme éthique, page 145)
Lacan donne une place centrale à l’objet(a) au croisement des trois anneaux du nœud borroméen. Ainsi ce qui organise l’existence du sujet est un « manque »ou un objet manquant qui cause son désir.
Colette Soler et Roland Chemama n’ont pas la même lecture du réel, ce qui démontre que l’œuvre de Lacan n’est pas homogène et nous renvoie à notre lecture; pratique de la cure, mais aussi à notre capacité à poursuivre un chemin difficile, celui de la symbolisation du réel. Nous pensons que cette difficulté ne doit pas empêcher un dialogue entre les psychanalystes, mais aussi une rencontre avec ceux qui font appel à l’éthique de l’analyste dans une société soumise à un « vrai réel »celui de l’économie et du marché mondial.
Danielle Eleb

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