L’Invité : mardi 12 mai 2009

Robert LEVY pour son livre "L'infantile en psychanalyse" La construction du symptôme chez l'enfant Editions érès Présentation Serge Sabinus


Robert Levy

 

 

Le livre que nous propose ce soir Robert LEVY – « L’infantile en psychanalyse. La construction du symptôme chez l’enfant » – fait état d’un travail continué sur plusieurs décennies concernant la pratique de la psychanalyse avec les enfants. Je suis attentif aux termes ici : Robert LEVY ne parle jamais de « psychanalyse d’enfant » (comme le fait maladroitement le préfacier) car cette formulation paresseuse laisse croire sans précaution à l’existence d’une cure analytique pratiquée avec un enfant comme analysant. C’est un peu plus compliqué et le livre de Robert LEVY en témoigne. On pourrait dire d’ailleurs sans craindre l’erreur que la cure analytique n’a pas d’autre pratique qu’avec cet enfant auquel l’analysant laisse enfin la parole ! Alors si la psychanalyse c’est la cure avec l’enfant absenté, que peut être une analyse avec l’enfant présent ?


Serge Sabinus

 

 

 

 

 

 

Bien sûr les références ne manquent pas ; d’Anna Freud à Françoise Dolto en passant par Mélanie Klein et D. W. Winnicott… mais j’aimerais avoir ton avis !
Le travail théorique présenté ici s’ajuste à une constatation clinique remarquable : La rapidité de la disparition des symptômes motivant la consultation, quelques séances suffisent souvent, chez le jeune enfant de moins de 6ans. C’est un fait suffisamment régulier pour s’y pencher, un fait expérimental auquel chacun qui a cette pratique avec les enfants peut apporter confirmation. Je me permets d’y ajouter quelques éléments : l’absence de plaintes exprimées par l’enfant au sujet de « ses » symptômes, la nécessaire participation des parents déployant le quotidien  du symptôme dans leur propre histoire, la fréquence non négligeable des ruptures prématurées des cures, initiées par les parents eux-mêmes… Eh bien voilà ce dont Robert LEVY dans son livre tente de rendre compte en termes, je dirais, métapsychologiques.

1ère mise en évidence, la limite d’âge de 6 ans. Cette période de la vie ainsi repérée, Robert LEVY l’appelle « infantile » exhaussant un terme englué dans sa signification commune de petite enfance au rang de concept opératoire et de stade de développement. Nous voilà ainsi muni d’un nouveau « calendrier » qui tient compte – on va  le voir- de la psychanalyse et non plus de la maturation intellectuelle per exemple : « On aurait alors l’infans (jusqu’à l’acquisition du langage), l’infantile (de l’acquisition du langage jusqu’à la constitution du complexe d’Œdipe), l’enfance (de la période pré pubère jusqu’à la puberté), enfin, l’adolescence qui dure parfois bien plus qu’on ne l’imagine. » (p106)

L’hypothèse de travail de l’auteur s’appuie sur Freud évidemment – le Freud des 3 essais, le Freud qui découvre le sexuel chez l’enfant – et sur les avancées de J Lacan à propos de l’effet de structure par la parole, le Nom-du-Père comme métaphore, l’objet a, le Lacan des Nœuds borroméens et celui, capital ici, du sinthome.
Dans cette visée clinique, il s’agit donc bien de remettre sur le métier la nature même –déjà tenue pour classique – du symptôme en faisant l’hypothèse d’une nature différente, d’une constitution différente de celle du névrosé en positionnant avec soin 2 champs que l’auteur passe en revue pour y forger son travail : celui de la sexualité infantile et celui du refoulement.

1 La sexualité infantile :
Reprenant la distinction freudienne, essentielle, entre pulsions dite partielles caractérisées par l’indifférence de l’objet et la pulsion génitale qui totaliserait son objet propre, Robert LEVY inscrit dans l’infantile ces jeux d’accord et de désaccord des pulsions partielles, repoussant l’objet globalisé dans les accessoires du mythe. Lacan avait déjà relevé le scandale de la pulsion dans sa disjonction d’avec le besoin. Soulignant les traits de constance de la poussée et l’indifférence de l’objet, il obligeait à reconsidérer le Principe de Plaisir pour s’engager sur le dur terrain du Réel en tant que marqué du trait de l’impossible ; quant à l’objet, on le sait, Lacan l’a situé, dans le tour qu’effectue la pulsion, comme CAUSE du désir. Cette « cause » est à entendre là où elle se fait entendre, à savoir dans la parole, ce qui nous introduit à un autre champ que celui du Réel. Et Robert LEVY de citer Claude Conté: « Quelque chose vient lier en un faisceau plus ou moins convergent l’assemblage hétéroclite des pulsions partielles, mais ce quelque chose est d’ordre symbolique, c’est à dire qu’il n’appartient pas comme tel au champ de la pulsion. » (p40)

2 Le refoulement :
Ce « destin » de la pulsion orienté par le freudien primat du phallus (dont Lacan va dégager la valeur d’absence, de manque pour donner un autre avenir à la castration), ce destin donc désigne la mise dans les dessous du représentant pulsionnel. On le sait, le symptôme névrotique est alors tenu par Freud comme retour de ce terme refoulé par un double mécanisme de condensation/déplacement de ce terme avec un 2nd que le conscient peut autoriser. Ici se construit l’hypothèse centrale du livre, une autre père-version du symptôme concernant l’infantile. Que ceux que j’ai un peu endormi se réveillent, je cite Robert LEVY qui nous livre deux clés de son travail : « …ce à quoi nous avons affaire avec les enfants, ce sont des symptômes qui n’ont pas encore été refoulés et qui ne demandent justement qu’à l’être…nous ferons l’hypothèse que le symptôme est une réponse de l’enfant construite à partir de l’un ou des deux parents, résultant de la position idéale infantile parentale. Entendons par là la position qui renvoie chacun des parents à sa propre castration, dans l’idée d’une interrelation entre le symptôme de l’enfant et celui des parents qui l’amènent à consulter. » (p66).
1-ansi l’infantile est la période durant laquelle se bâtit le refoulement (aux prises avec les pulsions partielles donc). Nous verrons plus loin que ce qui est en jeu dans le « symptôme » de l’enfant est un MANQUE de refoulement. Ceci implique, notons le, l’idée d’un achèvement possible de ce processus !
2- Le symptôme tel que le déploie les parents et qui soutient leurs plaintes, leur demande, à sa source dans leur propre angoisse. Il y a donc une articulation entre le refoulement en progrès, en travail – côté infantile – et le retour du refoulé – côté névrose des parents.

Suivant fidèlement l’enseignement de Lacan, le refoulement est une opération de substitution d’un signifiant pour un autre, opération dite de métaphore. Le temps de l’infantile est donc exactement, si l’on suit Robert LEVY, celui de l’installation de la métaphore du Nom du Père, selon la formule qui substitue au signifié du désir de la mère – auquel l’enfant s’est identifié – le signifiant du Nom du Père. Ce processus donc, s’inscrit dans le temps, et ce temps nécessaire, travaillé, chiffrable dans sa durée, plein des amours et des apprentissages enfantines, contemporain de l’acquisition de la maîtrise du langage, c’est l’infantile. Et cette maîtrise du langage, c’est la langue colletée à son Maître, dans le symbole du Père par son signifiant, le Nom-du-Père.

Robert LEVY prend un soin tout particulier à détailler cette opération de la Métaphore qui occupe le temps de l’infantile. Son fonctionnement est remarquable en tant qu’elle inscrit par une opération logique la place et la fonction du père, et en tant qu’elle fait de ce père une fonction langagière, signifiante. Robert LEVY suit précisément Lacan lorsque celui-ci déploie le père à travers les 3 champs du Réel, de l’Imaginaire et du Symbolique. Il y a donc une double substitution – propre au champ de l’inconscient d’ailleurs – le mot pour la chose (le père symbolique pour le père de la réalité) d’une part et, d’autre part, le signifiant du Nom-du-Père en lieu et place du signifié du désir de la mère : « Le Nom du Père est donc une symbolisation au second degré, une symbolisation de symbolisation, c’est-à-dire que l’on passe d’une première symbolisation qui correspond à la présence/absence de la mère binaire à une seconde symbolisation qui fait passer au ternaire. » (p75)

Cet éclairage autour de l’infantile, de la métaphore qui nous conduit à l’idée du symptôme infantile comme manque de refoulement ne laisse aucunement dans l’ombre la difficile question du refoulement originaire. Robert LEVY fait appel à d’autres auteurs (Berges, Balbo) pour préciser sa pensée : le refoulement originaire est constitué des refoulements maternels « comme autant d’énonciations venant de la part de la mère, porteuses des signifiants que l’enfant introjectera ». La bonne qualité de la relation de nourrissage (« mother good enough » de Winnicott que Robert LEVY traduit par « mère suffisamment quelconque ») produit une juste « transmission » de signifiants remplissant le grand Autre. L’infans est parlé et cette 1ère formation de l’inconscient peut être dite avec Lacan « sans sujet ». Le passage d’un 1er refoulement –originaire- au refoulement secondaire constitutif du champ symbolique semble ressortir cependant aussi du champ de la métaphore…
L’hypothèse métapsychologique qui supporte l’expérience clinique de l’infantile articule donc un refoulé «in-terminé », en travail et la névrose parentale (dans laquelle on entend les résonances des ratages de leur propre métaphorisation). Cette articulation se soutient du « concept » lacanien de sinthome.
Vous le savez Lacan a inventé ce terme pour rendre compte de la folie de Joyce, du ratage du Nœud Bo et de sa « réparation » par un 4ème terme, le sinthome, l’œuvre dans l’écriture, qui met en jeu rien moins que la pertinence de son nom, le Nom-du-Père, engagé dans une exclusion forclusive. Robert LEVY se propose d’utiliser cet outil, forgé  à la main de Lacan, pour son hypothèse.

On entend là au plus près l’intérêt du travail de Robert LEVY dans le champ clinique. La proposition de faire du sinthome le nom de ce qui noue le symptôme de l’enfant à celui des parents conduit alors à spécifier le repérage de l’acte analytique avec l’enfant : « la tâche sera justement pour l’analyste d’amener à ce que le refoulement soit enfin possible » à savoir produire ce que Lacan nomme refoulement symbolique. Ce qui ne va pas sans risque : « …toucher au symptôme de l’enfant, c’est faire courir au sinthome des parents le risque d’être déstabilisé » (p71)
Quelques questions donc. Bien sûr Lacan n’a pas réservé ce terme de sinthome à la description de la forclusion mais ici son extension demanderait quelques lumières, d’autant qu’il y a chez Lacan même un certain flottement : le sinthome est à la fois le 4ème rond et son résultat, un Nœud à 4 ; c’est à la fois l’opération de suppléance et –en même temps – il l’a posé comme seule possibilité de nouage borroméen. Alors ici, sinthome pour dire le « nouveau » symptôme de l’enfant (différent de la névrose) dans l’arrêt du processus de métaphorisation ou pour signifier le mode de nouage aux symptômes des parents, ou encore, semble-t-il, pour énoncer comment pour chacun des parents le symptôme de leur enfant fonctionne comme ce «quelque chose qui permet au Symbolique, à l’Imaginaire et au Réel de continuer à tenir ensembles »

La question de l’analyse avec l’enfant est en jeu. On voit clairement que l’action de l’analyste est en direction du sinthome des parents. Sa mobilisation est – si je comprends bien – la condition suffisante et nécessaire pour que le processus de refoulement reprenne son cours structurant (jusqu’à quel achèvement d’ailleurs ?). Il ne s’agit plus « d’être là sans raison d’être » mais de mettre en œuvre des moyens qui risquent d’inscrire l’acte analytique dans une sorte de rééducation thérapeutique du refoulement. De plus, et non le moindre, qu’en est-il alors du transfert, ce moteur premier (au sens d’Aristote) de la cure ?

Serge SABINUS

 

 

 

 

 

 


Richard Abibon

 

 

 

 

 

 

 

   

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