Max Kohn |
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Le shibboleth du contre-transfert Le shibboleth du contre-transfert est le fil conducteur de ce livre dont l’auteur nous dit qu’il a une fonction de révélateur des points de désaccord entre psychanalystes (1). Un schibboleth est une épreuve difficile qui fait juger de la capacité d’une personne. En hébreu, שִׁבֹּלֶת , est une phrase ou un mot qui ne peut être utilisé – ou prononcé – correctement que par les membres d’un groupe. Lorsque Jephté, chef des hommes de Galaad, eut défait les Éphraïmites et pris les gués du Jourdain, de nombreux fugitifs voulurent traverser le fleuve. « Quand un fuyard d’Éphraïm disait : «Laissez-moi passer », les gens de Galaad demandaient : «Es-tu éphraïmite ? » S’il répondait « Non », alors ils lui disaient : «Eh bien, dis « schibboleth » ! » Il disait « sibboleth », car il n’arrivait pas à prononcer ainsi. Alors on le saisissait et on l’égorgeait près des gués du Jourdain. » Avec ce concept clinique, il y a de l’exclusion en jeu. L’auteur nous rappelle que pour Sigmund Freud, la compréhension des mécanismes qui font le rêve constitue le schibboleth qui doit différencier le vrai psychanalyste de celui qui se prétend tel sans l’être (2). Il y a du contre-transfert dans la cure psychanalytique comme réaction au transfert du patient. S’agit-il du transfert de l’analyste comme on parle du transfert du patient ? La cure psychanalytique est un mixte de transfert-contre-transfert bien difficile à démêler, un espace tiers entre le transfert du patient et celui de l’analyste. Croire que cela se passe uniquement dans le transfert ou le contre-transfert est une illusion qui conduit à des exclusions par rapport à ce qui se passe dans la clinique psychanalytique. Si le shibboleth du contre-transfert est mal prononcé, c’est un meurtre qui risque d’avoir lieu, depuis sa découverte par Sándor Ferenczi, à travers les vicissitudes de sa cure avec Freud, et d’autre part, la procédure de la passe, que Jacques Lacan institua au sein de l’École Freudienne de Paris, en énonçant sa Proposition du 9 octobre 1967. Les transferts entre analystes font primer l’analyse du transfert-contre-transfert qui est l’objet du contrôle individuel ou de groupe. Une institution peut-t-elle être analytique ? L’expérience de l’inconscient renvoie au dessaisissement de l’analyste et de l’analysant, à une perte irréparable, au manque, à la castration, au vide inaugural avec le refoulement originaire comme l’explique l’auteur à la suite de Solange Faladé et du repérage du Réel. Pour lui il peut y avoir une institution analytique dans certaines conditions contrairement à ce que pense Moustapha Safouan. C’est un pari sur la vie de groupe et de l’espoir. Mais une institution peut-elle vraiment être analytique ? Ou ne vaudrait-il pas mieux dire qu’une société d’analystes n’est pas analytique en soi mais que dans certaines conditions, quelques-uns des groupes qui la composent peuvent le devenir. Le devenir, cela signifie qu’ils ne le sont pas d’emblée, parce qu’il y a un dispositif, mais que certains groupes peuvent faire advenir de l’analytique. C’est une question de désir, de ce désir de l’analyste dont nous parle l’auteur à la suite de Jacques Lacan. Le désir de l’analyste, c’est aussi le désir de quelques-uns. Il y a du collectif dans le singulier, de l’historique dans l’actuel. On ne peut pas vraiment saisir le désir de l’analyste. Il faut tout recommencer, mais plus ou moins à chaque séance, avec chaque nouveau patient. Les psychanalystes anglo-américains ont privilégié une relation duelle symétrique, visant la réparation et la gratification, à partir des conceptions théoriques développées par Otto Rank et Sándor Ferenczi, perdant ainsi le véritable tranchant de la psychanalyse. Jacques Lacan, de son côté, n’a pas négligé la dimension du contre-transfert mais l’a articulée à la dynamique du transfert, en déduisant l’élément inhérent et indispensable à la position de l’analyste : le désir d’analyste. C’est sur le désir de l’analyste et pas sur le désir d’être analyste que l’auteur travaille à partir de sa réflexion sur la place du contre-transfert dans l’histoire de la psychanalyse. Le désir de l’analyste, c’est un impossible à réaliser. Il faut le rendre possible à chaque nouvelle rencontre dans la cure et dans les groupes d’analystes. Le livre de Robert Samacher est important à lire pour cela. Son désir, c’est un désir d’analyste qui ne se coupe pas de sa propre histoire. Max Kohn
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Robert Samacher (1) La psychanalyse, otage de ses organisations?
Du contre-transfert au désir d'analyste Préface de Jean-Michel Hervieu MJW Fédition, Collection École freudienne, 2018