Robert Samacher

"SUR LA PULSION DE MORT". Création et destruction au cœur de l'humain. Préface d’Olivier Douville, Paris, Hermann éditeurs, Coll. Hermann Psychanalyse dirigée par Laurence Joseph, 2009.

Max Kohn, maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’université Paris Diderot – Paris 7, membre du Centre de Recherches « Psychanalyse et Médecine » (CRPM) EA 3522, psychanalyste membre d’Espace analytique exerçant à la Maison de la mère et de l’enfant à Paris (Société Philanthropique. Lauréat du Prix Max Cukierman en 2006. Correspondant européen de SBS Radio Yiddish, Melbourne, Australie.
www20.sbs.com.au/podcasting/index.php?action=feeddetails&feedid=16&catid=1
Site : www.maxkohn.com
Dernier livre paru : KOHN, Max, Vitsn, mots d’esprit yiddish et inconscient, Limoges, Lambert-Lucas, 2008.

Le livre de Robert Samacher est un bilan en même temps qu’une ouverture dans sa carrière de psychanalyste. Il relie sa fonction de psychanalyste, d’universitaire, de praticien hospitalier au plus profond de son histoire. Dans son introduction, il confie qu’il ne devait surtout pas parler la langue de sa mère, la langue yiddish. Comme il est né en 1940, il a connu une mauvaise année pour naître, mais y en-a-t-il de bonnes ?

Il a connu la peur de l’autre, la haine, la violence, occupé à survivre au jour le jour.

Le problème du rapport au yiddish pour Robert Samacher est évidemment lié à sa position d’enfant caché durant la guerre. Il avait peur de parler cette langue car elle le menaçait de mort. C’est exactement l’inverse pour moi qui suis né après la guerre. Je considère en outre que le problème n’est pas de parler une langue mais de s’écouter parler dans une langue qui n’est jamais donnée une fois pour toutes et que l’on doit inventer, y compris dans la situation clinique qui se transforme en situation analytique. Néanmoins, je crois que je peux entendre et écouter cette souffrance de Robert Samacher par rapport à sa langue qu’il a fini par appeler langue de la mère.

Dans la conclusion de son livre, commentant Le Savoir-déporté(1), d’Anne-Lise Stern et à propos de la parole de son père qui l’a abreuvé du « lait noir d’Auschwitz »(2) Robert Samacher  reprend un néologisme proposé par Anne-Lise Stern : la « jouivissance ». Il fait sur ce mot les associations suivantes : « jouis »-« vie »-« sens », « j’ouïs »-« vie »-« sens » et « Juif »-« vie »-« sens ». Ces trois formes peuvent servir de fil conducteur au livre. Ces associations sont autant de signes de confiance en l’humanité et en la vie.

Cet ouvrage reprend des articles que l’auteur a déjà publiés, remaniés, ainsi que des textes inédits en six parties : « Des traces et des restes », « La dynamique pulsionnelle », « Passage à l’acte et dangerosité », « Enjeux structurels », « Questions d’esthétique », « Questions d’éthique ».

Dans la partie « Des traces et des restes », Robert Samacher distingue des traces reliées à la mémoire et au travail de l’inconscient et des restes qui sont des scories, des objets déterminants de l’enfance qui ont marqué son être. Robert Samacher n’hésite pas à parler de lui comme sujet clinique, aux prises avec la vie et ses différentes situations cliniques. Il ne fabrique pas pour autant un cas à partir de lui-même, même si à certains moments on peut en avoir l’impression car il y a cette division, présente en lui, entre un discours psychanalytique plutôt lacanien et des paroles sur son histoire d’une profonde authenticité. Les deux se rejoignent toujours. Robert Samacher est et n’est pas un cas d’enfant caché comme en parle plutôt bien un livre qui vient de paraître de Marion Feldman(3), Entre trauma et protection : quel devenir pour les enfants juifs cachés en France (1940 – 1944). Comme tout le monde, il joue à cache-cache avec l’enfant qui est en lui et ses langues.

Olivier Douville dans la préface au livre insiste sur le fait que pour Robert Samacher une situation clinique est un lien social. Et tout problème est celui d’un vivant-parlant s’adressant à un autre être humain, donnant asile à la division subjective.

Robert Samacher n’a pas répondu au fantasme de son père qui souhaitait qu’il devienne médecin, pas plus qu’il n’a réalisé son désir d’être instituteur alors que la guerre d’Algérie l’avait rattrapé. Il y a dans le ton de ce livre un côté pédagogique très présent, une clarté cartésienne, pourrait-on dire à certains moments par rapport à la pensée et à l’expression de la pensée de Lacan. Il nomme les analystes qui ont joué un rôle dans sa vie : le docteur Pierre David, Françoise Dolto et bien sûr Solange Faladé. De même qu’il remercie Olivier Douville, Émile Jalley, Jean Triol, sa femme Rachel et son fils Jean-Yves pour leur soutien et leurs conseils dans la rédaction de ce livre.

Robert Samacher est un ami. On dirait un enfant. Il est souvent sombre mais il sait rire aux éclats. Il est parfaitement capable de parler yiddish en France et pas seulement en Israël comme il l’avait fait avec moi, s’il le veut même si la France est marquée par la période de Vichy. De toutes façons, ce n’est pas le problème. Le sujet n’a pas de langue (infans signifie « celui qui ne parle pas ») et il doit la créer comme un objet transitionnel. Il ne s’agit pas tant de parler une langue que de l’écouter. Comme le dit Vladimir Jankélévitch dans La mort : « Et même  quand le rescapé de l’enfer consent à raconter l’indicible, il ne faut pas tellement écouter ses récits. Il faut plutôt écouter ses silences. Encore qu’il ne sache rien sur l’autre monde, il a connu l’extrême tangence de la vie et de la mort ; il ne sait pas ce qu’il sait, et ne sait même pas qu’il sait. Il n’a pas de message, car c’est son être entier qui est le message ; c’est sa personne elle-même qui porte témoignage, comme c’est la personne du héros qui est, selon Bergson, la leçon d’héroïsme ».(4)

Robert Samacher et moi avons travaillé ensemble avec d’autres collègues pour les deux colloques internationaux(5) que j’avais organisés sur les rapports entre la psychanalyse et le yiddish le 4 mars 2002 et le 27 mai 2005 à l’université Paris Diderot – Paris 7. Dans ce livre il ne reprend pas un de ses articles que j’avais publié et intitulé « Humour juif et mélancolie »(6). Pourtant le lien qu’il établit entre l’humour juif et la mélancolie est important.

Dans le ton du livre apparaît quelque chose de douloureux et de tragique même si l’humour n’est pas complètement absent. Le mot d’esprit n’est malgré tout pas non plus très présent, comme si d’une certaine façon il y avait des choses dont il était difficile de rire. Il y a, pour Nicolas Abraham(7) dans L’Écorce et le noyau,dans le deuil non fait tous les mots qui n’ont pas été dits, toutes les scènes non remémorées, les larmes non versées. C’est ce qu’évoque Robert Samacher dans son texte « Un secret » : Ce ne sont pas les trépassés qui viennent nous hanter mais les lacunes qui sont laissées par les secrets des autres.

Dans le deuxième chapitre sur « La dynamique pulsionnelle », Robert Samacher va démontrer qu’il n’existe pas de dualité pulsionnelle mais une continuité entre la pulsion de vie et la pulsion de mort : il y a la pulsion avant tout. Il reprend Freud pour qui la haine est première. La haine porte donc atteinte à l’être du sujet, c’est ce qu’il développe dans « Haine et barbarie ». L’agressivité, quant à elle, s’inscrit dans un rapport à l’image. Quand on vandalise des tombes et que l’on profane des corps, on traite le corps comme un résidu et on porte atteinte au cœur de l’être et à la fonction symbolique.

Dans la « Dynamique pulsionnelle de Freud à Lacan », Robert Samacher reprend Freud pour qui la pulsion sexuelle est opposée à la pulsion d’autoconservation, ou pulsion du moins non sexuelle dans la première topique. Et à partir de la deuxième topique, toute pulsion est sexuelle et le fonctionnement pulsionnel repose sur une dualité, celle de la pulsion de vie (Éros) et la pulsion de mort (Thanatos).

La remémoration et l’historisation sont coextensives au fonctionnement de la pulsion dans le psychisme humain. Robert Samacher critique avec Lacan les dérives de l’ego-psychology qui ne tient pas compte de l’aspect qualitatif de la pulsion et lui dénie sa dimension historique.

Dans la troisième partie « Passage à l’acte et dangerosité », une réflexion est engagée sur le crime, la folie, la violence. Il rappelle qu’il a obtenu, après son diplôme de psychologue, ses premières vacations dans le service du docteur Denise Saucet à l’hôpital psychiatrique de Maison-Blanche en 1967.

Dans son texte « Le crime et le procès des sœurs Papin », il ramène toute la question de la violence qui peut exister dans les cas de passages à l’acte de psychotiques à l’absence d’imputabilité d’un crime à un sujet et à la responsabilité d’un sujet à l’égard de ce crime. Aujourd’hui, quand un méfait est imputable, celui à qui il est imputé est considéré comme responsable. Robert Samacher va considérer de près les dérives de cette position. Selon lui, il faut retrouver le sens de l’irresponsabilité, c’est-à-dire de l’aléatoire, reprenant ce que dit Lacan dans une conférence sur la cybernétique. Dans « Meurtres en psychiatrie »,  l’auteur évalue les conséquences d’une conception gestionnaire et biologisante des soins donnés aux malades mentaux.

Dans la note 23 de la troisième partie apparaît pour la première fois la notion de Unglauben, incroyance au vide de la Chose que Freud repère dans la paranoïa dès le manuscrit H du 25 janvier 1895 que l’on retrouve dans le livre La Naissance de la psychanalyse(8). Cette formule, incroyance au vide de la Chose, est un des fils conducteurs de ce livre qui s’appuie au fond sur la lecture que fait Solange Faladé de Lacan.

Dans « Violence dans la psychose : responsabilité et irresponsabilité », il pose la question de savoir si les crimes des sujets psychotiques sont d’une certaine manière toujours commis en état de folie.

Dans la quatrième partie, « Enjeux structurels », il souligne que la question de la structure est une de ses principales préoccupations dans sa carrière à l’hôpital psychiatrique et qu’elle est toujours présente quand il reçoit un patient. Chez l’homme, du fait du langage, c’est la pulsion qui s’impose et non l’instinct. L’entrée dans le langage n’implique pas nécessairement l’accès au discours, ce qui est le cas dans la psychose. Au fond, Robert Samacher est en quête de cet archaïque-là où l’entrée dans le langage se négocie plus ou moins difficilement pour le sujet. Il permet finalement d’accéder à une position éthique et qui constitue la sixième partie : « Questions d’éthique ».

Le névrosé croit à la Chose, l’hystérique y a trouvé insatisfaction et dégoût et l’obsessionnel, ayant eu trop de plaisir va recourir à l’isolation. Le psychotique ne croit pas à la Chose, il témoigne de l’Unglauben freudien et il est envahi par le trop de jouissance qu’elle lui procure. Certains psychotiques se jettent dans la Chose en se défenestrant.

Dans « Maltraitance et désir pervers », Robert Samacher a une très belle expression à propos du moment où la loi se dissout : il parle d’un « échange de viande ». Au fond, est-ce que l’échange humain n’est pas autre chose qu’un « échange de viande » à certains moments ? Il conclut en disant que la pulsion de mort est à l’œuvre dans tout travail de création. La négativité est nécessaire dans l’acte créatif. Dans un autre article, « Synchronie et diachronie dans la psychose », il reprend Un roman russe d’Emmanuel Carrère, avec tous les effets de fantômes qui peuvent exister dans son histoire, ceci à partir d’un texte littéraire, pris comme une situation clinique, ce qui est éminemment important dans la démarche de Robert Samacher.

Toujours dans cette quatrième partie, « Enjeux structurels », l’article « Transferts dans la psychose » rappelle que pour Freud en 1916, dans ses conférences d’introduction à la psychanalyse, le transfert est impossible chez les sujets psychotiques. Toute l’expérience de Robert Samacher va dans le sens inverse. Dans ce texte il affirme qu’il est possible d’observer en institution psychiatrique, une sorte de transfert psychotique en rapport avec la perception d’un espace et d’un temps éclatés. C’est très intéressant dans la mesure où chaque institution a évidemment une forme psychopathologique liée à l’objet dont elle s’occupe : ici c’est une forme psychotique de l’institution qui doit exister.

La cinquième partie, « Questions d’esthétique », rappelle l’étymologie du mot esthétique qui vient du grec aisthésis qui désigne la faculté de percevoir. Dans cette partie toute une élaboration s’appuie sur Lacan qui remplace l’idée de mère primordiale par la notion de Chose, élaborée par Freud mais approfondie par Lacan. Pour Robert Samacher la question de la sublimation dépend entièrement de la position du sujet à l’égard du lieu de la Chose, autrement dit de son rapport à la jouissance, au manque et à la castration. Il faut d’abord une reconnaissance du vide de la Chose et la croyance en ce vide constitue une première sublimation. Cette Chose est une première réalité muette, présente avant tout refoulement qui commande tout mouvement de représentation intérieure et extérieure à notre moi

La réflexion sur la sublimation dans « La sublimation de Freud à Lacan » fait dire à Robert Samacher que celle-ci a pour issue une création reconnue qui entre dans l’échange social.

« Psychose et création… au lieu de la Chose. – La “haute note jaune” » est un texte qui porte sur Van Gogh. Il est raconté que, le 19 mars 1889, le peintre est interné une seconde fois par mesure de police après avoir consommé beaucoup de café et d’alcool pour atteindre la « Haute note jaune ». Robert Samacher pense que la peinture de Van Gogh est du registre de la création mais pas de la sublimation. La création dans la psychose est un véritable problème. Par exemple dans la poésie du Moyen-Âge, l’éloge de la Dame est l’aboutissement d’un processus de sublimation qui recouvre le vide de la Chose. Il faut que le troubadour accepte de croire en ce vide.

Lacan a utilisé le terme d’incroyance en reprenant la notion d’Unglauben que Freud évoque à propos de la paranoïa dès le manuscrit K daté du 1er janvier 1896. Dans cette partie, l’article « Création sans sublimation. Suppléance et sinthome » évoque la tentative d’auto-engendrement par la photographie d’un artiste né à Madrid en 1952, David Nebreda, qui, comme tant d’autres artistes contemporains font subir à leur corps toute une série de blessures, amputations, coupures. Dans la perspective de l’analyse de cette création sans sublimation, il analyse la réflexion de Lacan sur James Joyce en concluant qu’il existe une esthétique d’avant la forme qui s’appuie sur un vécu sensoriel non symbolisé. Cela reprend les épiphanies dont parle Joyce : « des fragments réellement entendus dans des situations banales de la vie et essentielles à l’élaboration de son œuvre et que Joyce conserve soigneusement. »

La sixième partie, « Questions d’éthique », relie directement dès le départ la question de l’éthique, aux Dix commandements, qui pour Lacan représentent dans son ensemble l’interdit de l’inceste, même si celui-ci n’est pas explicitement mentionné. Robert Samacher distingue le surmoi-conscience, que l’on appelle aussi « conscience morale » du surmoi féroce au surmoi-pousse-à-la-jouissance. Dans les Dix commandements dans leurs rapports à l’interdit, tout en reprenant une traduction de la Bible, où Dieu se désigne lui-même comme « je suis ce que je suis » et non pas comme « je suis celui qui est », Robert Samacher insiste sur l’idée que l’interdiction de l’inceste n’est pas autre chose que la condition pour que subsiste la parole comme telle. Les Dix commandements renvoient à l’interdit de l’inceste qui est la condition de la parole. Ce n’est pas la menace de castration qui est supposée dans l’interdit, mais la reconnaissance et l’acceptation du vide de la Chose. Je crois que c’est vraiment cette acceptation du vide de la Chose qui est refusée dans le totalitarisme nazi. Il est à signaler qu’il n’y a pas de réflexion sur le stalinisme et les goulags dans ce livre, même si à la fin Robert Samacher évoque comme question grave pour l’avenir de l’Humanité Hiroshima. Le culte juif instaure un lieu vide, articulé à un temps vide et à la Chose (das Ding) comme lieu évidé de toute jouissance et d’où tout imaginaire est banni. C’est la reconnaissance de ce lieu et une distance vis-à-vis de lui qui forment les conditions de la combinaison de la lettre au signifiant, ouvrant l’accès à la parole et au discours. J’ajouterai que le vide n’est pas le rien et en reprenant Vladimir Jankélévitch que la vie, la mort c’est presque rien, cela n’oscille pas entre le néant et l’être, tout ou rien. L’événement infinitésimal de la différence entre tout et rien, le presque rien, permet de vivre notre finitude autrement que dans le culte du rien ou que dans la fuite vers l’infini et le tout. Pour Robert Samacher, ce qui caractérise le temps de l’homme c’est sa finitude. Il naît pour mourir dans un temps qui lui est propre, mais le temps en tant que tel lui échappe. . L’événement est pour Vladimir Jankélévitch quelque chose qui n’est rien, mais qui arrive, une occurrence. Ce n’est pas un fait. Il est imprévisible, on ne l’attend pas. L’instant est le moindre-être intermédiaire entre l’être descriptible, racontable ou analysable et l’insaisissable rien. L’événement est un cas difficile à classer.

Pour Lacan selon Robert Samacher, la mère primordiale est la mère non barrée, non évidée de la jouissance, la Chose est hors signifiant. C’est le signifiant, c’est-à-dire l’inscription du Nom-du-Père qui efface la Chose. La Chose évidée rend compte de l’existence d’un vide au cœur du sujet qui permet que le manque et la castration ouvrent l’accès au désir chez le parlêtre. Comme me le disait pourtant Jean-Toussaint Desanti(9) : pour la psychanalyse, contrairement à ce qui se passe dans le rituel juif de Yom Kippour où la parole est évidée, où toutes les paroles sont reprises, la parole même si elle est problématique, est toujours pleine. L’évidement de la parole ne va pas de soi ou alors on pense qu’il y a en-dessous des signifiants pleins  Faut-il remplir le vide par la psychanalyse ? Je ne peux passer mon temps à attendre la mort, même si elle arrive. Mais ce n’est rien, pas le néant. Pour Vladimir Jankélévitch dont je partage la position, la mort c’est le rien qui détruit la pensée, ce n’est pas le néant alors que Robert Samacher privilégie la vie tout en reconnaissant le travail de la mort.

Dans un autre texte de cette partie « Kant avec Eichmann. Jugement, devoir et responsabilité du sujet dans l’acte », Robert Samacher, à propos des discours enflammés du IIIe Reich, des vociférations du Führer, considère que l’interdit de vie a été substitué à l’interdit de meurtre, c’est-à-dire une loi non barrée par la castration. Il s’agit en effet dans le nazisme de vocifération et non d’énonciation.

Dans « Guerre ou paix, psychanalyse et sciences politiques », il nous dit qu’il doit à la chance et à la bonne volonté de quelques-uns d’avoir survécu. Cette phrase, page 384, pourrait servir d’exergue au livre et de fil conducteur à sa réflexion.

Il y a là l’idée d’une paix possible avec un énorme effort de la volonté entre des sujets que tout sépare. On sent bien à la fin du livre l la préoccupation de la paix chez Robert Samacher par rapport à Israël, au Moyen-Orient, aux Palestiniens et à l’ensemble du monde arabe. Dans l’article « L’acte en psychanalyse », le psychanalyste n’a pas à trouver une jouissance dans les dires de l’analysant. Il n’a pas à être à l’écoute de lui-même : son écoute est hors de lui-même.

Dans son livre, Robert Samacher a réussi un tour de force : tout d’abord en faisant le point de toute sa carrière en reliant son histoire à sa clinique et à la théorie psychanalytique avec des références importantes pour lui. Il conclut aussi son ouvrage sur la passe. Tout en soulignant d’ailleurs que s’il faisait partie du jury de passe, il n’a pas lui-même fait cette procédure parce qu’il était déjà engagé dans la clinique psychanalytique.

C’est un parcours de vie marqué par le retour au néant tel qu’il est indiqué dans sa conclusion. Bien sûr, la destructivité s’impose davantage que la dynamique de vie. Mais il y a cette idée qu’avec la psychanalyse – et peut-être sans la psychanalyse-  pour qu’un lien social puisse se mettre en place, il est nécessaire de sortir de la jouissance de l’être, c’est-à-dire de la jouissance de la Chose. Pour Robert Samacher, l’enfer sur terre créé par les nazis est le lieu de la Chose non évidée de la jouissance par excellence. Et l’homme est le seul être vivant à jouir de la destruction. Oui, mais comme il le dit et comme le dit le Talmud, traité Baba Batra, 15b « Qui sauve un homme, sauve le monde ». Robert Samacher a dans ce livre relié à sa vie, sa clinique et son histoire, le désir de partager une clinique du désir qui privilégie la vie tout en reconnaissant le travail de la mort. C’est un livre à étudier et à faire lire à tous ceux qui s’intéressent à la psychanalyse aujourd’hui en ce début de XXIe siècle.

 

  1.- STERN, Anne-Lise, Le Savoir-déporté, Paris, Seuil, coll. La Librairie du XXe siècle, 2004.
2.- Expression empruntée à un poème de Paul Celan : Fugue de mort (Todesfuge).
3.- FELDMAN, Marion, Entre trauma et protection : quel devenir pour les enfants juifs cachés en France (1940 –1944), préface de Marie Rose Moro, volte-face de Boris Cyrulnik, collection « la vie de l’enfant » dirigée par Sylvain Missonier, Toulouse, Erès, 2009.
4.- JANKÉLÉVITCH, Vladimir, La Mort, Paris, Flammarion, 1977, p. 366.
5.- L’Inconscient du yiddish, Actes du colloque international. 4 mars 2002, (sous la dir. de M. Kohn et J. Baumgarten,, Paris, Anthropos Economica, collection « Psychanalyse et pratiques sociales » dirigée par P-L. Assoun et M. Zafiropoulos, 2003.
6.- Yiddishkeyt et psychanalyse – Le Transfert à une langue. Actes du colloque international, 27 mai 2005, ouvrage collectif (sous la dir. de M. Kohn), Paris, MJW Fédition, 2007, avec le concours de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
7.- SAMACHER, Robert, « Humour juif et mélancolie » in Culture yiddish et inconscient (sous la dir. de
M. Kohn) in Langage et inconscient, numéro 4, p. 29-38.
8.- ABRAHAM, Nicolas & TOROK, Maria, L’Écorce et le noyau, Paris, Flammarion, 1987.
FREUD, Sigmund, La Naissance de la psychanalyse, Paris, coll. Bibliothèque de psychanalyse, PUF, 2009.
9.- KOHN, Max, Yom Kippour. La Parole dévidée » in L’Anthropologie psychanalytique, (sous la dir. de P-L. Assoun et M. Zafiropoulos, Paris, Antrhropos Economica, 2002, 74- 83. Repris in KOHN, Max, Traces de psychanalyse, Limoges, Lambert-Lucas, 2007, p. 287-295.

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