Serge Bédère, Madie Lajus, Benoît Saurou et l’équipe de Point Rencontre « Rencontrer l’autre parent » Les droits de visite en souffrance

Editions érès, 2011

Max Kohn
Univ Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, CRPMS, EA 3522, 75013, Paris, France, psychanalyste membre d’Espace analytique, psychanalyste à la Maison de la Mère et de l’Enfant à Paris (Fondation Albert Hartmann, Société Philanthropique).

Site : www.maxkohn.com

Max Kohn a lu « Rencontrer l’autre parent« 

Ce livre de l’équipe Point Rencontre à Bordeaux est un témoignage passionnant sur ce qui se passe dans ces espaces où les parents séparés ou en conflit peuvent rencontrer leur enfant. Le Point Rencontre de Bordeaux a été fondé en 1986 et l’on trouve aujourd’hui 140 lieux en France accueillant plus de 20 000 familles, 25 000 enfants pour 100 000 visites exercées. Cet ouvrage part des questions suivantes : à qui appartiennent les enfants ? À ceux qui se les approprient et à ceux que les enfants reconnaissent comme tels vis-à-vis de la communauté et de la société ? 

L’enjeu est que l’enfant ne soit pas mis en position de saturer le fantasme d’un des parents. C’est pour cette raison qu’un appel à un point d’extériorité est logiquement nécessaire, d’où littéralement la valse des membres de l’équipe dans l’espace du Point Rencontre à Bordeaux où ils sont toujours en léger décalage par rapport à la parole et au corps de ceux qui viennent. C’est un espace composé de plusieurs espaces aux limites floues et changeantes.

Serge Bédère a eu cette idée du Point Rencontre à Bordeaux, tel qu’en témoigne Madie Lajus. Lors d’une réunion, cette dernière parle de la mission que lui confient les juges aux affaires matrimoniales dans l’accompagnement des droits de visites conflictuelles et évoque la difficulté de ces rencontres dans des lieux inappropriés. Serge Bédère dit alors : « Et si on inventait un lieu pour cela ?… »

Cette expérience se poursuit dans la longue durée dans toute la France. Les concepts qui sont en jeu pour penser cette activité clinique existent à partir d’une réflexion collective : le bannissement de l’autre parent, soit dans des actes soit dans des discours, c’est-à-dire ce désir de l’un des parents de chasser l’autre de la vie de son enfant. Il s’agit alors d’exclure l’autre en le niant, en le chassant. Ce bannissement décrété par le parent hébergeant peut frapper non seulement les pères mais encore les mères. Il est essentiel à repérer dans le dispositif mis en place dans ce Point Rencontre.

L’autre notion importante est celle de la saturation telle qu’elle est élaborée par Ursula Renard dans « Place de l’enfant dans le fantasme de la mère à travers J. Lacan et M. Mannoni »(1). Il s’agit pour elle de reprendre la note sur la place de l’enfant adressée par Lacan à Jenny Aubry en 1969 (« L’Enfant sature le désir de la mère »). Il faut désaturer : c’est au fond l’un des aspects les plus importants de ce travail clinique. L’enfant peut par réparation essayer de resaturer le désir de la mère parce qu’elle se sent trahie par le père. Et il a à se justifier d’être issu de ce père-là. Par exemple, lorsque dans une rencontre avec Romain, Serge Bédère joue au scoubidoiuScoubidou, c’est une façon d’introduire un signifiant « dérisoire » pour produire des effets de désaturation par rapport au trop plein qui résulte d’une désindexation phallique.

Il faut, selon Serge Bédère, distinguer ce qu’il en est de la métaphore du désir du père pour la mère et la métonymie du désir de la mère qui peut être désindéxée temporairement parce que le père se trouve désavoué. Il faut distinguer la jouissance phallique de la jouissance de l’autre et c’est à quoi l’équipe du Point Rencontre de Bordeaux s’affaire.

Ce Point Rencontre accueille des enfants ainsi que les parents qui bénéficient d’un droit de visite par une ordonnance de justice, quelques-uns seulement venant de leur propre initiative. 12 professionnels assurent l’accueil, l’accompagnement et le suivi de ces prises de contact. Il s’agit pour l’enfant de se retrouver dans son histoire et son rapport à son origine. Toute ordonnance est accompagnée de formules exécutoires qui ont à peu près la même fonction que certaines formules dans les contes. Cela laisse perplexe, comme par exemple la formule « Tire la chevillette, la bobinette cherra » dans le Petit Chaperon Rouge. Il faut restaurer l’espace du malentendu en ne figeant pas des positions de refus dans des enkystements mortifères dans ce qui se passe.

Pour Winnicott, sans soin maternel il n’ya pas de bébé. au fond c’est tout le dispositif qui permet d’exister aux sujets qui sont là par le soin qu’on leur accorde.

Le Point Rencontre est un lieu où l’on voit peu de pères accompagnés de leur propre mère quand ce sont eux qui accompagnent leur enfant, en revanche, il y a des mères conduisant leur enfant accompagnées de leur propre père. D’une certaine façon, le père avec enfant sans mère est plus bancal que la mère avec enfant et père.

Le Point Rencontre repose sur un constat, celui de la nécessité de passer par un détour, par une nouvelle figure d’altérité garantie par des tiers de façon institutionnalisée pour qu’il y ait une sauvegarde d’un processus de subjectivation pour l’enfant dans un moment de crise et de conflit. On trouve l’exemple d’un enfant fuyant complètement son père :le père quand il était enfant a en fait été abandonné par sa mère mais son père ne pouvait pas le dire à son propre enfant. L’équipe n’en a pas été informé et elle ne pouvait pas le sentir non plus. Ceci conduit à une fuite permanente de l’un et de l’autre, sans que cela ne  rencontre l’impensé du père qui n’a pas été verbalisé.

Les comportements perturbants sont très repérables dans ce Point Rencontre et cela renvoie à l’enfant perturbateur qui sommeille en chacun des intervenants. C’est une sorte de travail invisible qui a lieu là, s’il n’était pas réalisé on le verrait sans doute davantage. Cette fonction d’accueil est un travail discret : mieux on le fait, mieux on le voit. C’est une question de dispositif où il y a un décalage entre le travail prescrit et la possibilité d’un travail réel.

Ce livre collectif est très important à lire pour ceux qui travaillent en institution et qui essaient de tenir compte du mieux possible du sujet et de son histoire dans des conditions parfois très difficiles.

Max Kohn

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(1)RENARD, Ursula « Place de l’enfant dans le fantasme de la mère à travers J. Lacan et M. Mannoni », Journées Espace Analytique, Paris, septembre 2009.

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