Robert SAMACHER, |
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Ce Séminaire de Solange Faladé Autour de la Chose était particulièrement attendu, parce qu’il propose une clinique centrale dans l’œuvre freudienne sans être véritablement mise en lumière avant Lacan, elle porte sur das Ding, la Chose freudienne. Je rappellerais rapidement que Solange Faladé a accompagné Jacques Lacan depuis 1952 et a suivi toutes les étapes de son enseignement. C’est en tant que témoin de cet enseignement qu’elle a eu la préoccupation de transmettre cet héritage à ses propres élèves. En effet, après le Séminaire Clinique des névroses (1991-1993) paru en 2003, centré sur la clinique des deux névroses : hystérie et névrose obsessionnelle, commentant et prolongeant les cas princeps présentés par Freud en particulier ceux des Etudes sur l’hystérie, Dora, l’Homme aux rats, Hans, la jeune-fille homosexuelle, etc. Pour Solange Faladé, la reprise de ces observations avait pour visée d’apporter des outils cliniques et théoriques aux psychanalystes afin « qu’ils apprennent ce qu’est la clinique des sujets qui viennent les voir, à partir de ce qu’ils recueillent de ces sujets, c’est-à-dire un savoir insu qu’ils ne peuvent aborder qu’en sachant qu’ils ne savent rien. » Le deuxième Séminaire publié, Le moi et la question du sujet (Séminaire 1988-89) est paru en 2008. Ce Séminaire avait pour perspective d’expliquer l’émergence et la constitution du sujet humain telles que Lacan les a théorisées à partir de sa pratique. La Chose était déjà présente, mais cette Chose dont émerge le sujet à la fois intime et extime, demandait à être explicitée, c’est ce à quoi s’emploie le Séminaire Autour de la Chose qui vient d’être publié. Comme les deux précédents Séminaires, il ne s’agit pas d’un ouvrage écrit, c’est la transcription du Séminaire tenu par Solange Faladé à l’Ecole Freudienne pendant les années 1993-1994, qui a été prononcé à la suite de Clinique des névroses. L’ordre dans lequel ces Séminaires sont publiés, a été approuvé par Solange Faladé. En effet, elle n’avait pas la préoccupation de publier, il s’agissait d’assurer la « transmission de la psychanalyse » dans la perspective voulue par Lacan. Elle tenait à transmettre oralement à ses élèves ce qu’elle avait tiré des enseignements de Freud et de Lacan. Elle avait des dons de conteuse et chaque Séminaire qu’elle présentait sans notes, ouvrait vers une nouvelle aventure dont, d’une fois à l’autre, on attendait la suite. Comme le font savoir E. Koerner et M.L. Lauth dans leur préface, S. Faladé s’était donnée pour mission de « sauver de l’oubli ce qui, de l’enseignement de Lacan a pu se perdre après l’éclatement issu de la dissolution ; révéler quelles difficultés Lacan s’efforce de résoudre par ses énoncés et ses écritures, celles aussi que S. Faladé a elle-même rencontrées devant l’opacité de la clinique ; montrer le mouvement de formation des repères théoriques, distinguant ceux qui ne l’ont pas été sans être pourtant invalidés ; résoudre les problèmes laissés obscurs en développant librement l’usage de la théorie au-delà de ce que Lacan avait fait. Très sensible aux événements et aux réalités de son temps, dans ses cures comme dans son enseignement, elle n’hésite pas à évoquer des faits de l’actualité, faits divers ou mutations historiques dont rendent compte les derniers chapitres de cet ouvrage. Elle n’a eu de cesse de nous en faire saisir la signification analytique, donnant toute sa portée au message freudien, qui, bien au-delà de la pathologie, interroge le destin des êtres humains. » (p. X) Dans ce Séminaire, Solange Faladé présente une nouvelle forme originale de clinique qu’elle a appelé « Clinique de la Chose ». Cette clinique est déjà présente dès les premiers écrits de Freud et en particulier « L’Entwurf », traduit par « Esquisse d’une psychologie scientifique » dont Lacan fera l’un des axes principaux de sa réflexion dans L’éthique de la psychanalyse (1959-1960). Il dégageait alors de façon essentielle, ce que Freud avait désigné par Das Ding (la Chose), c’est-à-dire la place laissée par le tout premier « objet perdu », la mère, il en fait une clé pour saisir la naissance de ce que Lacan reprendra et situera par la suite comme étant le rapport du sujet en devenir au manque, au savoir, à la jouissance et à l’objet a , éléments déterminants dans la mise en place de la structure. A partir de ce que lui a inspiré le Séminaire VII, L’éthique de la psychanalyse Solange Faladé va développer cette « Clinique de la Chose » dans sa richesse concrète pour la pratique analytique, éclairant également de manière nouvelle certaines pratiques collectives ou certains événements collectifs contemporains. Solange Faladé reprend cette expression pour mieux faire apparaître la trajectoire de l’enseignement de Lacan. Le titre donné par les transcripteurs au premier chapitre (Séminaire du 26 Octobre 1993), montre bien l’enjeu de ce Séminaire, « Un parcours autour de la Chose ». S. Faladé insiste immédiatement sur l’importance de l’Entwurf et sur le fait que « l’objet ne peut être objet que parce que perdu », c’est la découverte essentielle de Freud et pourtant nous dit Faladé, « il s’est laissé berner par l’hystérique » : elle ne lui a pas permis de saisir que l’interdit porte sur la mère et non sur le père. Il a fallu du temps à Freud pour réaliser ce qu’il savait : l’objet interdit c’est la mère, pour la fille comme pour le garçon et non ce qu’une traduction littérale de l’œdipe laissait penser : « Aux filles le père et aux garçons la mère ! ». Dans ce premier chapitre, S. Faladé insiste tout particulièrement sur la place essentielle de l’Entwurf dans la pensée freudienne et sur la difficulté rencontrée à faire reconnaître l’importance de ce texte en France. Elle situe le tournant en 1958, lors du Congrès de Royaumont avec La direction de la cure et les principes de son pouvoir.(1) Alors que Freud a très tôt reconnu l’importance de la satisfaction et du désir, après même avoir élaboré son « Au-delà du principe de plaisir » en 1920, il ne mettra pas suffisamment l’accent sur la jouissance, ce qui permettra à Lacan de dire : « Le désir, ça a été le champ de Freud, la jouissance sera mon champ ». Cette étape mena au Séminaire L’éthique de la psychanalyse où la Chose est alors prise « à bras le corps » par Lacan. Solange Faladé rappelle qu’avec L’éthique de la psychanalyse « l’accent est très rapidement mis sur la Chose et ce qui est autour de la Chose, qui a à voir avec un vide radical, le manque, le fait que l’objet ne peut être constitué que parce qu’il est manquant. Ce manque radical, c’est en fait cette castration dont nous parle Freud. Et c’est autour de ce vide que sera constituée une barrière, une barrière telle que le sujet va se mettre à l’abri de ce qui pourrait advenir s’il lui arrivait d’être en contact avec ce vide. » (p.11). Ces séminaires étant d’une grande richesse, je reprendrai les principaux contenus des chapitres proposés par les transcripteurs. Les opérations de l’émergence du sujet sont détaillées au fur et à mesure du déroulement des Séminaires, les intitulés des chapitres proposés par les transcripteurs en rendent aussi compte. Le chapitre III est intitulé le sujet de l’inconscient marqué du vide de la Chose. « L’écriture de Lacan intéresse aussi la Chose dont le vide vient marquer tout ce qui concerne le sujet : le $, l’Autre et le mot d’esprit, le graphe du désir, le ça parle de lui, le S2, l’idéal du moi hors chaîne, la mise en place de l’Autre et de la Chose. Le manque dans l’Autre et dans le sujet. Le chapitre IV aborde l’objet perdu, la deuxième topique freudienne et la structure de l’être parlant, qui se met en place en fonction de la rencontre du manque, S(Ⱥ) et de l’articulation signifiante S1-S2. Le S(Ⱥ) est appelé dans toutes les structures, mais pour le psychotique, il n’est pas présenté. Autour de ce vide se placent les constructions du moi (narcissisme), du ça (principe de plaisir), et du surmoi (les restes vocaux). Le chapitre V parle de la négativation de la jouissance et du réel non symbolisé, le chapitre VI, aborde l’articulation signifiante, le manque et les restes de jouissance. Le chapitre VII : « Le sujet naissant s’organise autour de la Chose… » Le vide de la Chose, « ce Réel auquel nous nous cognons », va permettre à Solange Faladé de revenir sur la question de la sublimation, ce qui au-delà de l’utile, intéresse le sujet de l’inconscient. Au chapitre IX, elle fait retour sur la sublimation, elle parle du reflet de l’œuvre d’art sur l’image du corps en l’illustrant par le peintre Toulouse Lautrec. Elle rappelle que la sublimation n’est pas de l’ordre de l’idéal du moi, car elle exclut tout refoulement (sauf le refoulement originaire) et pose la question : que devient la pulsion à la fin de l’analyse ? Le chapitre X traite des structures et du signifiant de la jouissance : Qu’est-ce que l’infantile ? Le symptôme s(A), l’idéal du moi IA et la Chose. Qu’en est-il de la mise en place de la Chose dans la psychose ? Le chapitre XI résume une séance non enregistrée à la demande de S. Faladé, cette séance rappelle que le 10 mai 1994 était le jour de l’investiture de Nelson Mandela comme président de la République d’Afrique du Sud. Solange Faladé avait choisi de consacrer le Séminaire de ce jour à la rencontre de Nelson Mandela et de Frédérik Declerk, cette rencontre lui inspira le texte Penia et Poros, du récit mythique à l’événement historique(2) qu’elle prononça à la Martinique en Janvier 1995, alors qu’Aimé Césaire était présent dans l’auditoire, c’est à lui que la conférencière s’adressa ce soir-là. Dans le Séminaire suivant, chapitre XII, elle reprit le commentaire de cette rencontre sous une forme métaphorique qu’elle théorisa en faisant référence à la science politique et au sujet de la science. Elle insista sur le fait que ces deux hommes, Mandela et Declerck, se sont faits sujets de la science, c’est-à-dire sujets suturés et non divisés parce qu’ils ont mis de côté leurs particularités, le semblable, n’étant pas le même. Ils ont pu se parler parce que la haine n’a pas été placée au cœur de la Chose, c’est à partir de ce lieu vide qu’a pu se faire la rencontre, ce qui a permis la mise en place d’un état arc-en-ciel multiracial. Ce n’est pas à propos de la couleur de la peau que se manifeste le racisme, c’est parce qu’on vit et qu’on jouit d’une certaine façon, on veut obliger l’autre à vivre et à jouir de la même façon, « à se présenter comme l’autre ». Pour Solange Faladé, le racisme est une question d’intolérance à ce que « la jouissance de l’autre soit différente. » Le chapitre XIII, revient sur la sublimation qui est un leurre auquel le psychanalyste n’a pas à s’accrocher car elle vient masquer la béance de la Chose. Ce que la pulsion devient à la fin de l’analyse dépend de la cure de chacun. Dans son propre parcours, Lacan a renversé la seconde topique. Après le graphe du désir, il a utilisé les objets topologiques et a placé l’objet a dansun vide au cœur du nouage borroméen R.S.I. S. Faladé situe l’arrête de l’enseignement de Lacan dans la relation du sujet avec les trois consistances R.S.I. et le vide central dans lequel vient se placer l’objet a cause de désir. Le 2 juillet suivant, lors des journées annuelles à Vaucresson, Solange Faladé fit une intervention intitulée « Pot-pourri » lui permettant alors d’aborder les questions portant sur la fin de l’analyse et le nouveau lien social qui résulte de la mise en place du discours psychanalytique et ses effets sur une institution pour la psychanalyse. Elle insista sur « ce qui est essentiel dans la découverte freudienne, le manque radical, ce vide, cet objet à tout jamais perdu,… dès le départ ». C’est autour de ce vide central que se pose la question de ce qui peut intéresser le discours analytique, la question de ce que peut être la fin d’un parcours analytique et ce qui en résulte, la mise en place d’une institution analytique qui a pour mission de préserver ce vide. L’enseignement ne doit pas combler ce vide mais faire avec. Cette question concerne aussi la fin de l’analyse Il est difficile de détailler la richesse de ce Séminaire Autour de la Chose à situer comme également centrale dans l’œuvre de Solange Faladé, le vide de la Chose sur lequel elle insiste, pour que puisse être transmis et prolongés avec force et dans la continuité l’enseignement de la psychanalyse dans « le sillon de Freud et de Lacan. » Robert Samacher ________________________________________________________
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