Suzanne FERRIERES-PESTUREAU

"L’ORIGINAIRE DANS LA CREATION" Où comment les impressions infantiles influencent-elles les créations de l’adulte? Collection Approche de l’homme – Psychanalyse - ABCIDÉ - St Etienne - Juillet 2008

Anne TASSEL a lu  » L’originaire dans la création« 
Psychanalyste – Maître de conférences à l’Université de Paris 7 Denis-Diderot

Articles :
«Rue du tag» in La Rue, n° 43 revue Adolescence, éditions GREUPP, mars 2003;
«Figures de l’indistinction sexuelle : les mangas» in n° 44 L’Organe et le sujet paru dans Adolescence, éditions GREUPP, 1er trimestre 2004;
«Praecarius adolescens», N° 72 Précarité, exclusion, abandon, dirigé par Houria Abdelouahed, pour la revue Cliniques Méditerranéennes, Ed.  Paris, 2005/2; «Une clinique du virtuel» N° 43 in www corps com dirigé par A. Linhares et Laurie Laufer,  in Champ psychosomatique , Ed. L’Esprit du Temps, Paris,  2006; «Ephémérité, artifice, surface: figures d’un lien entre l’archaïque et l’actuel à l’adolescence» texte paru in Le malaise adolescent dans la culture, Ed Campagne première  (Mars 2005)

Chapitres dans des ouvrages:  «Epilogue» in Le tourment adolescent, dirigépar Anne Tassel et Philippe Givre, Le fil Rouge, PUF, Décembre 2006; «Violence et adolescence», chapitre d’un ouvrage collectif dirigé par G. Massat et C. Bormans  Psychologie de la violence aux  Editions Studyrama (Avril 2005)

Direction d’ouvrages – «Le Tourment adolescent, Tome 1»– Le fil Rouge, PUF paru en Février 2007 en collaboration avec Philippe Givre

L’objet de cet essai  se place dans la perspective psychanalytique d’une pensée de l’originaire dans la création artistique. Au-delà d’une présentation panoramique des éléments majeurs de cette théorie, il consiste à proposer au lecteur un plaidoyer en faveur des aspects économiques de la pulsion, passés au crible des concepts freudiens, kleiniens et winnicottiens, que viennent étayer le récit clinique d’un cas de psychosomatique ainsi que les récits d’artistes qui en justifient la pertinence.

Outre l’impossibilité de proposer un résumé de cette étude dont la densité n’autoriserait au mieux qu’une réduction arbitraire, le fil rouge du lecteur s’attardera à se laisser porter par la clarté du style de Suzanne Ferrière- Pestureau qui a le souci d’une présentation  à plusieurs niveaux : d’une part celui du quantitatif de la pulsion,   l’approche esthétique étant « d’orientation économique » et parcourue dans les principaux textes de Freud, d’autre part la découverte clinique du retour vers l’hallucinatoire chez un patient qui s’ouvre une voie de passage vers la création, et enfin le repérage du geste psychique de l’hallucination comme saut vers l’arrière-monde dans la création artistique. Si bien que les modes de lecture de cet essai jouent entre eux d’information critique les uns vis à vis des autres en opposant l’analyse des formes culturelles de l’œuvre d’art à ses formes énergétiques.

Dès l’introduction, Suzanne Ferrières-Pestureau nous met en garde sur le sens que Freud privilégie lorsqu’il prend parti pour l’analyse d’une esthétique culturelle au détriment de celle d’une « esthétique d’orientation économique », qu’il avait  introduite dans son texte Au-delà du principe de plaisir(1920). Le débat actuel naît en effet de la confrontation de ces deux modèles, l’un considérant le processus créateur comme résultant de la matrice organisée par les traces mémorielles inscrites par sédimentation en revisitant l’histoire inconsciente du sujet, l’autre repérant dans l’acte créateur « la frappe directe  d’une vérité inarticulable », celle de traces directement agies par la puissance d’affectation d’une « présence brute qui ne s’échange contre rien ». En cela, l’auteur ne se cache pas de rejoindre les thèses défendues par J. Rancière, G. Didi-Hubermann, ou L. Marin, pour lesquelles le fonctionnement du détail dans l’œuvre équivaut à celui d’un objet partiel qui s’attache à désorganiser l’ordre de la représentation. La traversée freudienne de Suzanne Ferrières-Pestureau consiste à localiser les moments où celui-ci s’interroge sur « ces images indomptées », porteuses d’une étrange intensité, telle celle de la couleur jaune qui, par son effet hallucinatoire, vient fixer certains moments enfouis de la propre histoire de Freud, moments de trouble qu’interroge l’auteur. Qu’il s’agisse du délire de Norbert dans la Gradiva, de la sensation buccale de la queue du milan dans le souvenir d’enfance de Léonard de Vinci, de la fureur maîtrisée de Moïse à propos de la statue de Michel-Ange, ou encore du « délit de voir » de Freud à l’origine de son propre trouble sur l’Acropole, Suzanne Ferrières- Pestureau nous propose d’en élaborer la genèse pulsionnelle. En insistant sur l’action du déplacement dans les souvenirs-écran ou le rêve, elle cherche à cerner l’affect dont l’hyper intensité porte l’hallucination vers la « netteté » du détail, la conduisant à présupposer une « découpe surdéterminée » du sujet, mue par les sensations-traces en référence aux effets de l’originaire repérés par Piera Aulagnier. Précisant l’aspect primaire de ces expériences traumatiques « qui engendrent une déchirure de la subjectivité entre une partie non représentable mais néanmoins « psychique » et subjective et une partie représentée », elle n’hésite pas à  prendre le parti de l’irréductibilité de l’expérience psychique archaïque, antérieure à toute articulation possible du sujet à sa propre histoire. Elle démontre ainsi comment certaines positions identificatoires indépassables qui renvoient à la jouissance sans limite d’une mère archaïque indifférenciée peuvent engendrer un  mouvement créateur qui correspond à l’accueil des effets destructeurs de la pulsion « au moment où elle risque de devenir pulsion de mort », le geste créateur s’interposant comme tentative de liaison.

C’est ce que nous constatons dans le cas Sabine lorsque celle-ci relie la scène traumatisante d’un geste paternel violent – le jet d’une carafe d’eau dans la figure – au symptôme de dessèchement de la peau, permettant au cours de l’analyse que s’ouvre une voie de création, celle du dessin. Celle-ci n’est autre que la « tentative de libérer l’imaginaire dans le passage de l’éprouvé au voir », support à la fois des sensations, « mises en acte hallucinatoires des affects ».

Cette mise en acte esthétique se trouve ainsi confrontée à l’œil impressionniste d’un Cézanne « aux sensations colorantes », qui s’exerce à peindre l’excès de l’affect en libérant sur la toile le renversement de la perspective classique, ou, plus proche de nous, Munch s’attachant à « peindre le cri » dans un moment d’égarement de la pensée,  quasi confusionnel. Si bien que la thèse de l’auteur s’appuie autant sur l’utilisation chez certains artistes de leur capacité de régression formelle qui concède au fonctionnement hallucinatoire une capacité de figurabilité auxquelles les « sensations hallucinées » permettent de donner accès, autant qu’un travail de réminiscence qui assouplit le symptôme clinique et trouve l’ issue d’une création esthétique.

Du coup, le mécanisme de défense qui se met en place pour répondre à l’agression de la figure archaïque maternelle – Chose, gouffre ou vide- fait advenir les formes originaires que le geste créateur vient expliciter, l’enfant en l’adulte s’y résolvant, afin de se dégager des rêts de la projection paranoïaque dont l’œuvre  récupère les formes archaïques sublimées.

Ce livre est à mettre dans les mains de ceux pour lesquels la créativité ne serait qu’issue de l’imaginaire, alors que la preuve est faite que la création touche l’envers du fantasme.

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