René Major |
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Ce que nous invite à penser désormais Stéphane Habib dans Faire avec l’impossible n’est pas dans un antagonisme de la psychanalyse et du politique – comme lorsqu’on se demande ce que la psychanalyse fait au politique et vice versa – mais dans une continuité/discontinuité où se trouvent noués la psychanalyse, l’éthique, le politique. Dans un style alerte et constamment attentif aux mots qui parlent du politique, l’auteur se soucie au plus haut point des questions qui nous arrivent de l’inquiétude même du monde d’aujourd’hui. Ce qui suppose le maintien d’une inquiétude devant le monde qui est aussi une inquiétude qui marque tout rapport à l’autre, à tout autre. Car l’affaire du politique c’est, dit-il, ”le monde comme ce qui arrive entre les corps parlants.” Contrairement à certains penseurs du politique qui se posent en maître des certitudes, Habib est un artisan infatigable du questionnement. Se confrontant à l’examen des théories politiques qui ont inspiré des régimes totalitaires du siècle dernier, il montre comment ces théories sont toujours à l’œuvre, souvent de manière cryptique et jusque dans nos démocraties. On est conduit à relire les travaux de Carl Schmitt sur la notion du politique et sur la théologie politique, dans lesquels l’opposition ami/ennemi, sa discrimination comme critère du politique en vient à l’énonciation, sans ambages, pure et simple, que « l’ennemi, c’est l’autre, l’étranger. » Ennemi de l’extérieur ou de l’intérieur : «Il se trouve simplement qu’il est l’autre, l’étranger, et il suffit, pour définir sa nature, qu’il soit, dans son existence même et en un sens particulièrement fort, cet être autre, étranger et tel qu’à la limite des conflits avec lui soient possibles qui ne sauraient être résolus ni par un ensemble de normes générales établies à l’avance, ni par la sentence d’un tiers, réputé non concerné et impartial. » A l’appui de textes, comme celui publié par le Califat Comment survivre en Occident ? Guide du combattant du Djihad 2015, Habib met en évidence que la logique et la rhétorique du Califat sont essentiellement schmittiennes. La relance du politique consiste bien ici d’abord en une déconstruction de l’opposition ami/ennemi mais surtout à penser ”la question fondamentale de la survie des corps parlants les uns pas sans les autres.” Dès qu’il est question de langage, de parole adressée à l’autre qui engage un minimum de croyance ou d’incroyance et tant soit peu quelque rapport de force, le politique est engagé. Mais c’est aussi d’un même trait la psychanalyse elle-même qui est en jeu. René Major |