L’Invité 14 décembre 2010

Sydney Levy pour son livre "Freud et l'Homme vertical" - Autochtonie et Politique Editions des Crépuscules Présentation Philippe Beucké


Sydney Levy

Nous avons toujours cherché le point d’origine de l’humanisation de l’homme. Cet homme vertical qui pour Freud (voir Malaise dans la culture) se décide à la marche verticale, mouvement ouvrant à la civilisation, figure de la famille primitive.
Votre souci est de nous intéresser à la verticalité de l’homme dans son rapport à la terre ; souci qui peut nous conduire à une nouvelle réflexion sur la naissance du politique : laquelle est façon de gérer collectivement la violence (du reste le sous-titre de votre livre est  « Auchtotonie et politique») ; des images planent, celle de l’homme se relevant et touchant les sphères célestes, la légèreté de Gradiva, la sortie de la terre


Philippe Beucké

mère. Cette articulation du problème du sous-sol et du sol est ouverture au politique : passage du «Boden», «Ehrboden» (sol, terre) au «Grund» (profondeur, fondement). Passage qui nous fait traverser la surface plane pour entrer dans un espace tridimensionnel, permettant de différencier la terre des origines et le sol de la Cité (ainsi votre analyse du tableau de Domenico Ghirlandaio «La confirmation de la règle» de l’ordre de Saint François).
Un pari que vous voulez tenir : interroger celui de la fondation de la Cité à partir des naissances terrestres pour en arriver à la question de la fraternité. Du mythe l’autre, l’inconscient est construit et reconstructible comme un mythe (assertion que je vous proposerai de développer).

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Héritier de la pensée de son siècle relative à la terre et son destin, Freud s’en démarque. À la pensée philosophique, religieuse sur la station droite dans son lien à la bipédie, Freud y préférera la station droite s’écartant d’une bipédie qui faisait l’humanité dans une transcendance pour les Anciens, dans un critère spécifique pour la pensé naturaliste. Cette verticalisation, vous y repérez là le lien d’un  père transcendant à une mère chtonienne, archaïque. S’éloignant du sol, l’être humain indique là le mouvement d’un refoulement organique, un détachement, une perte de contact d’avec le lien originel. Le nez se détache du sol, pointe vers le ciel. Refoulement organique dont les conséquences sont au cœur de l’instauration de la «Kultur». Refoulement organique au cœur de la genèse et du développement de la pulsion. Un corps se lève et trouve consistance. Le scopique prend le relais de l’olfactif, l’érection se verticalise et devient visible.


Jean Ségalen

Mouvement qui est à la racine de la sublimation, laquelle, vous nous rappelez l’étymologie, est «élévation au dessus de la fange». Mais il ne s’agit point d’en rester au visuel, car si l’homme s’arrache, il est néanmoins soumis à la gravitation. À relever la richesse du terme «Australien», vous notez la verticalisation de l’homme, redressement du corps puis maintien de la loi gravitationnelle, enfin établissement de la paix et fondation. «Aufrichten» c’est aussi consoler, donner courage. Marche donc vers l’humanisation au plus près des mouvements terrestres ; l’auchtotonie est affranchissement qui permet des sentir les vibrations du sol et les mouvements du sous-sol.

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Vous nous demandez de vous suivre dans un monde qui s’ouvre à ce qui est du réel ou de la fiction, pour questionner cette verticalité qui peut penser l’humain en son rapport à la terre. A besogner le vocable, (je reprends vos termes), nous exhumons l’image et son rythme. Le vertical est au carrefour du phylogénétique et de l’ontogénétique.Vertical, c’est vertigo, vertex, vortex, tourbillon, vertige, point culminant du ciel. Vous retournez aux mythes, à l’histoire pour nous proposer un fondement de l’autochtonie ; le mythe de la fondation d’Athènes et celui de l’origine de la fondation thébaine. Il n’y a pas que la terre, il y a le sol, un sol qui fait verser le sang (droit du sol et droit du sang). L’autochtonie dans son lien au vertical peut différencier celui qui est né du sol et celui qui est né de la terre. Le projet urbain, politique devient pensable dans ce passage de la terre au sol, passage qui supporte du conflit, des forces qui s’affrontent à l’instar du conflit entre Cà et Moi. Naissance d’un nouveau topos : terre-sol-mouvement interne du vertical.  De ces mythes que vous relisez, il ressort que la terre reste génitrice et destructrice.


Jacqueline Massola

Votre proposition d’un mythe magico-sexuel distinct du fantasme ou de la théorie sexuelle infantile est proche de l’engramme pictographique. Sortie de l’Un, sortie de la terre, mouvement d’un hors psyché qui institue la psyché ; façon avec ce mythe de l’autochtonie de penser la violence, pour fonder le politique. Deux mouvements président pour s’affranchir de la violence d’une fraternité de l’individuel, biologique et horizontale pour se saisir d’une autre, celle-ci collective : un vivre ensemble qui peut aller jusqu’à accepter le risque de la mort au combat. Tenir compte de la préhistoire ne peut se faire pour vous qu’en ayant recours à l’identification primordiale.

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Si «le mythe c’est ça, la tentative de donner forme épique à ce qui s’opère de la structure» selon les mots de Lacan, c’est ainsi que j’entends votre travail, car je ne sais si l’inconscient est un mythe. Pour moi il est artisan du mythe. Une très belle histoire que vous nous racontez là … une histoire à dormir debout! Je pense là, à la réponse de Lacan à une question de Catherine Millot relative au désir de dormir, au désir de mourir. Au fond, à l’effroi du réveil, nous préférons, grâce au voile du fantasme, rester endormis ! Dans votre essai d’expliciter l’identification primordiale, il y va cependant d’une invitation par du réel à faire du symbolique.Tenter un éveil au politique, une nomination du vivre ensemble.

Philippe Beucké

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