Geneviève Piot-Mayol a lu .. |
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Ce livre rassemble les neuf communications d’un colloque à la Sorbonne et à la Maison d’Amérique latine, organisé à l’automne 2006 à l’occasion du 150è anniversaire de la naissance de Freud. La couverture — un montage original réalisé à partir d’une photographie de Freud relisant le manuscrit de son Moïse à sa première adresse londonienne — invite à la lecture, qui peut se faire à partir de deux index. Celui des lieux guide vers Vienne et Berlin, mais aussi Rome, Athènes, Stratford, Londres etc. Celui des noms propres témoigne de la présence de psychanalystes, mais aussi d’écrivains et de philosophes. Au cours des cinq dernières années, de nouveaux pans de correspondance ont été traduits ou édités, et c’est le mérite du livre de faire le point avec les traducteurs : correspondance complète de la correspondance Freud/Abraham, Freud/Eitingon (1800 lettres), Freud/Rank, Freud/ Anna (pas encore traduite en français), Anna Freud/Lou Andreas-Salomé. Ces correspondances sont situées à la fois dans leur contexte géographique et politique et dans l’histoire de la psychanalyse, contribuant à la connaissance de l’histoire du mouvement psychanalytique. On y découvre l’étonnante variété des styles épistoliers de Freud qui s’adaptait à chaque correspondant. Dans l’adresse singulière à chacun, ne peut-on déceler l’affleurement d’une énonciation au-delà du contenu de l’énoncé, qu’il soit théorique ou personnel ? Freud lui-même écrit à Stefan Zweig : « Plus encore que de ce qu’on lit, on se réjouit de ce qu’il y a derrière dans l’esprit de l’auteur » (p. 127). L’esprit, n’est-ce pas ce qui permet au message d’être adressé et reçu à travers la matérialité des petites lettres ? Message qui peut être entendu hors contenu de signification . La lettre aurait alors pour destinée d’être prise à la lettre, grâce à l’esprit de l’énonciation . Olivier Mannoni analyse les 1850 feuillets de la correspondance avec Eitingon, retraçant le combat pour la cause de la psychanalyse et son histoire entre 1926 et 1939. Lecture essentielle pour comprendre les rouages et cahots de la machine analytique (mais en juin 2008, la traduction, achevée, n’est pas encore parue chez Hachette). Sur un versant plus personnel de la vie de la famille Freud, l’éditrice allemande de la correspondance Freud/Anna Freud, Ingeborg Meyer Palmedo, commente la position complexe d’Anna à l’ombre de son père (mais le texte, qui vient de paraître en allemand, n’est pas encore disponible en français). Dans « Correspondance pour Londres », Henriette Michaud évoque le jour de 1938 où Freud quitte Vienne pour l’Angleterre. Lettres à l’appui, elle interroge le rôle de Shakespeare dans la construction de la psychanalyse, en déroulant le « fil Shakespeare » pendant cinquante années d’échanges épistolaires. L’énigme du « Shakespeare de Freud », se creuse tout au long du texte, à partir d’une question : comment « le fils d’un humble gantier de Stratford », selon l’expression de Stéphane Michaud, peut-il être l’auteur d’une œuvre aussi considérable ? Cette question renvoie à l’interrogation de Freud sur lui-même : comment le fils peut-il dépasser le père et devenir le père d’une œuvre ? Henriette Michaud montre aussi comment Shakespeare et Moïse, les deux colosses aux pieds d’argile, ont permis à Freud de produire une scène du déplacement. Au-delà d’un travail d’enquête, il me semble que ce parcours aboutit, comme dans un trajet analytique, à la découverte d’un espace vide qui ouvre sur la métaphore. |
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Geneviève Piot Mayol |