Simone Molina Archives incandescentes

Écrire, entre la psychanalyse, l’Histoire et le politique Ed L’Harmattan, Novembre 2011

Françoise Hermon-Vinerbet

Psychologue clinicienne et psychanalyste membre du cercle Freudien exerçant à la consultation médico- psychologique de Chaville a publié en …. dans la revue Patio no 3 L’inconscient à l’œuvre, « Trajectoire orale ». En 2008, dans le bulletin du Cercle Freudien « La destructivité en psychanalyse ».

Françoise Hermon-Vinerbet a lu « Archives incandescentes »

Simone Molina s’inscrit dans la lignée d’Hannah Arendt pour qui penser ce qui arrive est le propre de l’humain. Son livre est celui d’une psychanalyste pour qui l’inscription de la réalité psychique est solidaire de ce qui peut s’écrire dans les archives de l’Histoire collective.
Le point central autour duquel se déploie cet ouvrage est constitué par ce qu’on a nommé par euphémisme et déni, « les évènements d’Algérie », gommant par là le lot de tragédies humaines : guerres civile et coloniale.
Françoise Davoine a largement ouvert la voie de l’analyse des effets de ces réalités qui restent retranchées et inassimilables tant qu’un tiers n’y a pas donné corps, Janine Altounian a analysé ce phénomène pour ce qu’il en a été du génocide des Arméniens et beaucoup d’autres, cités avec respect dans cet ouvrage ont fait de même pour l’extermination des Juifs par les nazis.
Simone Molina est issue d’une famille d’origine juive vivant en Algérie depuis probablement l’antiquité (selon le dire de Benjamin Stora dans la préface du livre, et son  texte a la richesse des multiples empreintes qui ont marqué l’auteur, algérienne et  française, juive et arabe.
C’est ainsi qu’on peut lire « Il y eut d’abord l’entrecroisement des sonorités de la rue mêlant le Français et l’Arabe, avec cette sorte de noblesse que ses racines latines semblaient conférer au Français et le chatoiement guttural de l’Arabe parlé par ma mère ».
Mais une bombe éclate qui précipite sous les décombres l’enfant studieuse qui compulsait le dictionnaire à l’étage dans sa chambre, et c’est aussi le verbe et le discours qui éclatent et qui volent en morceaux.
Angoisse de l’ensevelissement, révolte et incompréhension, « qu’ai-je fait pour mériter cela? »
Après le traumatisme la violence de l’évènement inaugure un autre monde, un autre temps et la sollicitude de ses parents va, nous dit S. Molina, remplir par des paroles l’espace qui aurait dû rester vacant.
« Ont-ils jamais pensé à lui demander ce qu’elle avait pu vivre, souffrir, espérer, désespérer, mourir, dans ce réduit bétonné, entièrement rempli de son corps et de gravats à l’odeur âcre inoubliable, ont-ils jamais osé imaginer cette impossibilité à croire – croire simplement – en la réalité de l’évènement? »
Ce texte vivant, violent est cependant d’une grande pudeur car « Ecrire, c’est se tenir à côté de ce qui se tait » nous rappelle-t-elle citant ces mots de J.L. Giovanni.
L’écriture de l’effroi éprouvé par l’auteur se fait à la troisième personne et l’impression en italique de ce chapitre, induit chez le lecteur le sentiment étrange que peut être il s’agit d’une fiction, ou bien d’un événement en quête de lieu où il pourrait s’inscrire, dans un temps, et un état second.
A l’effroi innommable de l’éprouvé se colle un signifiant inattendu – « l’ennui » – C’est le titre qu’a choisi notre auteur lors d’une première parution de ce même récit. Ce livre marqué par la déflagration est composé de divers matériaux historiques, cliniques et poétiques, mais l’auteur maintient l’unité de son propos grâce au talent qu’elle a pour créer et rétablir les liens. Ainsi jamais n’omet-elle de rendre hommage à ceux sur qui elle a pu s’appuyer, tant pour ce qui est de sa pratique politique de la folie (J.Hassoun, J. Oury, F. Tosquelles, M. Fennetaux et bien d’autres), que pour ce qu’il en est de son travail proprement littéraire (A. Appelfeld, M. Blanchot, G. L. Borges, P. Levi, E. Jabés, pour n’en citer que quelques uns).
Son art de la citation est l’occasion pour nous de rendre visite à des amis communs, connus, et nous donne l’envie de connaître ceux qu’elle cite qui sont pour nous des inconnus.
Tous furent des militants du lien quel que fût le point de solitude ou de détresse qui les mit au travail.
S. Molina reprend l’histoire de la guerre d’Algérie à travers des documents précis, juridiques, témoignages individuels familiaux, récits cliniques.
Par ses soins, certains blancs de l’histoire sont rendus à la vie, certains  «  silences vociférant » sont remis en récit, des lieux communs sont démolis.
Ainsi en est-il du mythe « Pied noir », grossière appellation sous laquelle fut noyée dans l’amalgame, la diversité des populations les plus hétéroclites. Elle témoigne de l’offense faite à ces Juifs qui n’avaient rien à voir avec la colonisation de l’Algérie par la France puisqu’ils étaient en Algérie bien avant les Arabes : ils furent naturalisés Français avec tous les ressortissants européens d’Algérie par le décret Crémieux de 1870, et devinrent apatrides et exclus du droit français par les lois de Vichy.
Entre deux rives …. et deux oublis comme s’intitule l’un des chapitres de l’ouvrage, fut aussi la situation des « Harkis », ces Algériens qui avaient combattu du côté des Français et furent laissés en Algérie livrés à la vengeance de leurs compatriotes ou parqués dans des camps en territoire français.
C’est à partir de sa pratique clinique analytique que Simone Molina rend compte des dégâts opérés par l’histoire censurée, silencieuse, sur ceux qui l’ont vécue, et des ravages qui continuent à s’exercer sur les générations d’après d’autant plus lourdement que le fardeau leur a été transmis à travers une absence de récit. L’inscription se fait alors, à défaut de possibilité de représentation, sous forme d’écriture gravée à même le corps et l’histoire des victimes et de leurs descendants.
Elle écrit : « la psychanalyse nouée à la littérature est un point de passage dévisageant l’énigme de la marque de l’histoire sur les sujets, entre singularité du sujet et dimension collective ».
La nécessité d’écrire et de se mobiliser pour que s’inscrive l’évènement traumatique s’est avérée pour l’auteur quand des tombes juives furent profanées à Carpentras et c’est à cette occasion que voulant faire échec à tout négationnisme, elle a créé l’association Point de Capiton Ecrire, dit elle, pour témoigner et décoller du traumatisme, bien que ce qu’il contient d’impossible Réel, exclue toute inscription définitive.
« Essayer encore, rater encore, rater mieux », Simone Molina qui cite Beckett dans Cap au pire, n’est pas dupe, elle sait l’humain frappé du sceau d’incomplétude, entamé par « l’en moins » que produit l’inaptitude du langage à rendre compte de sa détresse inaugurale.
Elle constate cependant que certains événements traumatiques non pensés par un tiers nécessitent des dispositifs sociaux, juridiques ou psychanalytiques spécifiques.
Simone Molina nous fait cadeau de la densité de sa pratique  de psychanalyste psychologue, et de son expérience tant dans les cures d’enfants que d’adultes.
A partir de son amour de la langue et sa pratique de la poésie elle développe les bénéfices apportés par les ateliers d’écriture qu’elle met en place et supervise en milieu hospitalier.
A contre courant des recommandations actuelles, elle insiste sur le bien-fondé d’utiliser les apports de la psychothérapie institutionnelle et, comme ses prédécesseurs en ce domaine, inscrit la psychanalyse dans le lien social. « Il n’y a de clinique que poétique » dit-elle reprenant le propos de F. Tosquelles qui affirmait à juste titre, « sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie, c’est l’homme même qui disparait ». « Maintenir et créer des lieux diversifiés « des niches écologiques » est indispensable pour continuer à penser ».
Le livre de S.Molina est un exemple en faveur de ce qu’elle prône, une oeuvre généreuse, engagée, qui chemine à travers des domaines épistémologiques et stylistiques variés, un livre dont la fonction de transmission se réalise pleinement.

Françoise Hermon-Vinerbet

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.