L’Invitée : mardi 9 janvier 2007

Solal RABINOVITCH pour son livre "La folie du transfert" Editions érès Présentation Philippe Beucké

 

Au plaisir de vous recevoir, s’ajoute pour moi l’intérêt que je prête à votre travail puisque depuis quelques mois, dans un travail que je mène au Cercle Freudien avec quelques collègues (certaines, certains sont là ce soir), nous tentons d’aborder votre réflexion et je fais aussi référence à deux textes précédant ce livre : « Réel du noeud, réel de la cure » (Carnets de l’EPSF 2005) « Une pratique du réel » in « L’insistance du réel » (ouvrage collectif 2006).

Si certes votre travail aujourd’hui est en continuation des travaux cités précédemment, j’ai le sentiment que vous nous proposez une conception et une pratique autres de l’Imaginaire dans la cure, essentiellement avec la clinique de la psychose .

Egalement, comme vous le notez dans les remerciements -ceux adressés à Christian Centner- l’accès à un usage humain de la topologie de la cure.

Je vais tenter dans le temps imparti de cette présentation de tirer quelques fils, qui n’épuiseront pas la richesse de votre travail. Je pense qu’il fera référence pour nous car peu d’analystes vont si loin dans la théorisation de la topologie des nœuds laissée par Lacan à la fin de son enseignement. J’espère que je pourrai faire entendre l’inventif du transfert, votre propre capacité d’invention !

Vous relisez les textes de Freud relatifs au transfert, relecture qui a le mérite de nous faire sentir une nouvelle fois son éternelle hardiesse : le scandaleux du transfert, scandaleux inhérent au transfert analytique. Comment supporter cet amour de transfert qui s’il est amour véritable, n’en n’est pas moins proche d’une folie ? Il y a aussi la valse hésitation de Freud quant à la possibilité de transfert pour le psychotique, affirmant l’incapacité du transfert des psychotiques, c’est-à-dire l’absence de l’instrument de travail nécessaire pour l’analyse, mais iI ajoute que, tout de même, ces patients sont abordables « par quelque côté », et que le transfert n’est pas si absent !

Il me paraît qu’un axe fort de votre ouvrage est relatif, comme je l’évoque à un autre abord de l’Imaginaire. Comment se dégager du spéculaire puisque l’analyste doit déjouer les pièges narcissiques, se situer à la place de l’Autre ? Mais en même temps avec la psychose comment apprivoiser l’Autre du délire sinon grâce à un autre imaginaire ?

Se situer à la place de l’Autre sans pour autant l’incarner avec (je vous cite) un maître qu’il soit sexe ou texte : car sinon ce qu’il dira au patient ne sera pas alors issu du vrai du patient. Le sexe ne peut épuiser l’interprétation du désir humain ; quant à la référence à un texte, il évitera alors de se laisser surprendre, sa résistance ne produira alors qu’inertie !

Que l’Imaginaire répare- celui de la métaphore délirante, qui supplée à la métaphore paternelle en défaut, celui de l’habillage du réel, qui prend la place du sens, c’est l’Imaginaire non point de l’enlacement de S.I qui fait du sens, mais celui du réel et de l’Imaginaire qui loge la jouissance de l’Autre- un imaginaire donnant une forme au réel. C’est si je puis m’exprimer ainsi cet imaginaire qui retient votre attention : un Imaginaire non purement spéculaire, plus exactement donnant une forme au réel non-spéculaire.

Ouvrier du réel que vous êtes, vous construisez un autre imaginaire non-spéculaire, une invention d’imaginaire, greffe d’un imaginaire sur un réel qui ne pouvait encore s’entamer. A éviter l’écueil du miroir, le savoir se déplace et permet l’advenue de traces qui n’étaient point encore inscrites. C’est une possibilité d’écrit comme savoir supposé sujet.

A cette impossibilité du transfert dans la psychose, fixation de la libido sur le moi pour Freud, et délire à la place du transfert entre A et a pour Lacan, c’est à dire un écrasement de l’Axe S.A sur a-a’ tel que nous pouvons le retrouver dans le schéma L, il y aurait possibilité de créer un autre non- spéculaire : interlocuteur du psychotique, adresse pour le sujet.

Un autre non spéculaire qui ne serait point l’autre pour le moi du sujet, qui ne serait point l’image spéculaire a’ face à a, qui ne serait pas l’autre qui est soi-même dans les relations du sujet à soi- même (cet autre narcissique que le délirant aime comme son délire). Un autre non – spéculaire : un autre de pure différence ; Un autre non- spéculaire que vous tentez de nous faire appréhender par votre recours à la peinture : ce qu’il en est du changement de point de vue après Alberti et son traité, la naissance de la perspective, et votre analyse à la suite de Foucault et d’Arasse, des « Menines » de Vélasquez. Un autre non- spéculaire, autre de pure différence qui pourra faire trace de témoignage, trace non signifiante, non effacée, immarcescible.

Que le sujet supposé savoir ne se mette pas en place dès le début de la cure, reste que cette fiction permet à l’analyste de supporter le transfert. Un savoir inconscient en lui- même supposé, le psychanalyste en supporte la fonction avec son savoir en réserve (crû en son propre et capable ou non de repérer celui du sujet). Le psychotique, lui, vient demander au psychanalyste d’être instruit sur ses symptômes.

C’est grâce à cet autre non-spéculaire que le savoir imposé et non supposé à l’analyste par le psychotique, qui n’est qu’écho du sien propre, pourra de l’écho faire coïncidence.

Vous nous proposez que l’analyste dans son ouverture à la psychose se tienne dans l’ombre de l’objet abandonné, afin que le sujet puisse, ses traces à lui, les inscrire, les écrire. Si l’écrit est champ de l’intraduit ou du « pas à lire », il ne se dit ni se lit, mais est un savoir qui là va s’inventer, alors il y aura trace non effacée : celle du sujet, sans laquelle il ne peut être pour l’Autre. Singularité, frayage du réel qui le modifie, vous nous en donnez un exemple fort riche dans l’écriture d’une cure. Vous tentez de nous montrer ce qui a pu alors se tresser dans cette cure. Réel de la cure qui croise celui de la structure, un écrit de la cure se bâtit, dont une lecture topologique nous en restituera les mouvements.

Nouer c’est écrire, écrire dans la tresse, dénouer c’est lire ce qui s’est noué.

Rares sont les analystes qui s’engagent autant pour dire une clinique du transfert, laquelle est sans doute plus pertinente puisque se dégageant d’une clinique trop prise dans le registre psychiatrique, pertinence alors pour se laisser surprendre, déranger par le dire de celui que l’on accueille.

Philippe Beucké

 

 

 

 

 
 

 

 

 

 
 

 

 

 

 
 

 

 

 

 
   

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