Solal Rabinovitch L’ange, le fou, le savant et le psychanalyste

Une affaire de pensées érès éditions, 2017

Jeanne Lafont.

Mes livres : Chez Point hors ligne, Topologie ordinaire de Jacques Lacan, 1986; Topologie lacanienne et clinique analytique, 1990. Les pratiques sociales en dette de la psychanalyse, 1994. Chez EFEdition. Les dessins des enfants qui commencent à parler, 2001; Six pratiques sociales, (livre collectif), 2006; La langue comme espace, 2015.

Etrange livre qui embrasse de multiples références, de Gepetto à Walter Benjamin, Avicenne ou Nicolas de Cues … Artaud et Kant, … autour d’une question réarticulée sans cesse : « D’où viennent ces visions que « voit » l’œil intérieur ? Les images mentales tombent dans notre imagination, nell’alta fantasia, dirait Dante, comme une pluie d’été. Le poète les croyait inspirées par Dieu, le fou les croit émises par des ondes terrestres. Sans doute émergent-elles simplement de cette terre étrangère de l’inconscient ». (p 139)

Ce « simplement » est en fait traqué sur 250 pages. Au départ, l’auteur questionne ce que le fou a appris au philosophe, dans le détail des parutions de livres et le récit détaillé du délire de Swedenborg pour Kant, et de Schreber pour Freud et Lacan, avec, partout, au détour d’un raisonnement,  des témoignages de paroles d’analysants, de délires, de rêves racontés et comme rendus avec une empathie étonnante et émouvante, au débat métaphysique sur la nature même de la pensée.

Et au fur et à mesure du livre, le recours à la topologie lacanienne (noeud borroméen et tore), devient de plus en plus pressant. « Si nous prenons au sérieux la vision binoculaire, il faut sans doute modifier l’espace qu’elle met en jeu dans ce glissement de grains de sable. Non plus l’espace ordonné par les lignes de fuite en étagères des Renaissants, mais un espace mouvant, décomposé, cubiste, incluant en transparence d’autres espaces. Voir à travers les objets ce qu’il y a derrière eux, n’est plus « reproduire » mais « produire » dirait Braque. Produire de l’invisible. Que voit-on, une image, l’image d’une pensée, ou un réel ? » (p144). Je dirais que si au départ le lecteur est un sujet cultivé de notre temps, il devient de plus en plus psychanalyste et lacanien. Je ne peux pas me rendre compte (puisque j’ai étudié Lacan) si le pari d’un continuum fonctionne !

En effet, cette traversée de la culture occidentale et de son histoire, se termine sur une réflexion à propos de la position du psychanalyste, son expérience et sa manière d’être, de « desêtre » plutôt, et ce que l’invention de La Passe veut dire.

Il me reste, (en plus d’un tas de repérages sur les productions philosophiques d’un moment ou d’un autre de l’histoire de notre civilisation) une magnifique démonstration qu’un psychanalyste digne de ce nom est un athée radical, et une explication formidable de la différence entre une cure pour un sujet dans la névrose, et le travail  dans le champ de la psychose. Le lecteur y est amené lentement dans ce tourbillon métaphysique, topologique et métapsychologique frotté aux productions de la culture et de la religion, les anges, les démons, les délires, et les mystiques … et les intuitions de Freud et les écritures de Lacan.

Evidemment, je regrette la présence succincte de Bataille, l’absence des icônes russes. Le daimon de Platon, le chien d’Ulysse, Méduse et Médée, mais rien de Rome, … (j’aurais bien versé aussi au débat les géorgiques de Virgile) mais c’est sans  importance !

Jeanne Lafont

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