Serge Reznik Les défaillances de la certitude

Hermann Editeur, 2020

Sandrine Malem
Psychanalyste, membre du Cercle freudien. A fait partie du comité éditorial de la Revue Che Vuoi? de 2010 à 2015. Auteure de plusieurs articles publiés dans les revues Che Vuoi ?, La Célibataire et ouvrages collectifs publiés par l’APM.

« La psychanalyse est comparable à l’apprentissage d’une langue étrangère : on avance puis on se dit que l’on n’y arrivera sans doute jamais et plus on avance à nouveau, plus on entre dans la subtilité et la complexité de la langue »
Serge Reznik, Les défaillances de la certitude, p. 25.

Le prologue du livre s’ouvre sur la question de la transmission : comment rendre compte des mouvements subjectifs qui se produisent au cours d’une analyse, transcrire la langue intime tout en préservant les règles de la confidentialité ? Pour transmettre son expérience, Freud a pris appui sur des récits de cas alors que Lacan, hormis sa thèse de psychiatrie sur le cas Aimée, privilégia les commentaires de cas rapportés par d’autres, en s’orientant vers une formalisation mathématique de la clinique. Si la cure analytique est fondée sur la parole, la clinique freudienne des névroses, psychoses et perversions est une affaire d’écriture : « Pour rapporter cette expérience de l’intime, ne faut-il pas passer par l’écriture de la langue, oser la poésie ? Poésier pourrait-on dire, donner libre cours à l’inventivité de la langue » (p. 10). Serge Reznik aura fréquemment recours aux oeuvres de la littérature, du théâtre, du cinéma et de la poésie pour éclairer différentes questions cliniques.

Les thématiques abordées s’articulent en trois parties intitulées « invention », « décryptage » et « transformation », dans un mouvement de lecture qui se rapproche au plus près de l’analyse elle-même. Chacune est liée aux deux autres comme le sont les catégories de l’imaginaire, du symbolique et du réel.

Dans « Invention », sont posés les principaux jalons du mode d’action de la psychanalyse : une clinique de langues singulière à chaque sujet, le ressort du transfert et l’importance centrale du fantasme. La deuxième partie, « Décryptage », s’attache à déplier le symptôme dans le langage comme dans la culture. Y seront abordés la perversion, l’homosexualité, la sexuation et la différence des sexes, l’homoparentalité…

La troisième partie, « Transformation », dessine la question de la fin de la cure et d’un au-delà de la croyance et de l’illusion. Il sera question du semblant, de la conviction délirante dans la psychose. L’auteur interroge les points de certitude sur lesquels se fondent la subjectivité, les effets du traumatisme et la capacité créatrice à la fin de la cure.

Plusieurs fils conducteurs parcourent l’ouvrage. Le souci est constant de rendre compte des appuis théoriques et cliniques dans un langage simple, sensible et précis, dénué de toute formulation nébuleuse ou absconse : Freud et Lacan principalement, mais également Ferenczi, Mélanie Klein et Wilfred Bion. Les références sont situées dans l’histoire du mouvement psychanalytique, à l’écart de tout dogmatisme. L’auteur opère une véritable « traduction » entre les concepts freudiens et lacaniens, en soulignant les liens et points d’articulation. Il fait émerger leurs différences et spécificités : Freud du côté de l’interrogation de l’origine, de la vérité historique et de la causalité, là où la construction lacanienne repose sur la structure de langage de l’inconscient avec le primat de la logique du signifiant, bien que l’on trouve déjà dans la conception freudienne l’importance de l’inscription des traces mnésiques et des réseaux associatifs de mots. Une illustration de ces différences de conception est fournie dans le chapitre 4 « Que reste-t-il de nos transferts ? ». Les chapitres 10 et 16 intitulés « Le sexe est structuré comme un alphabet » et « Fin d’analyse, soif de maître » interrogent la sexuation, la visée et la fin de la cure, l’importance centrale du fantasme, véritable gond autour duquel s’agence la structure de chaque sujet et point d’arrimage de la pulsion. Serge Reznik propose une relecture de certains cas cliniques de Freud, notamment celui d’Emma Eckstein à partir de la correspondance avec Fliess dans le chapitre « L’or pur de la singularité subjective », et celui de l’Homme aux rats dans « La Science-enfant de Sigmund Freud ». Le cas de la jeune homosexuelle est repris dans le chapitre « Ce que l’homosexualité féminine enseigne sur la loi », comme prémisse à une lecture critique des théories du genre où la loi naturelle primerait sur la loi symbolique.

On trouvera au décours de ce livre un foisonnement d’hypothèses nouvelles. Parmi celles qui m’ont particulièrement intéressées, je retiendrai la métaphore créatrice du sujet pouvant faire rempart à la destruction et au mal, ainsi que la notion freudienne de Nebenmensch qui concerne la position de l’analyste dans le transfert – question qui a une certaine actualité par ces temps de confinement, d’isolement voire d’abandon des malades et des personnes âgées dans les structures médico-sociales, sans recours à la possibilité d’une parole adressée. Le chapitre consacré au « complexe d’Abraham » apporte également un point de vue novateur en accompagnant et déplaçant la problématique œdipienne à partir du récit biblique construit autour de l’enjeu d’un dépassement de la rivalité fraternelle : « Lacan a introduit la notion de castration primordiale et mis l’accent sur la ligature entre le désir et la loi (…). A côté de l’interdit de la jouissance fusionnelle mère-fils, il y aurait au fondement de la subjectivité ce que nous pourrions appeler un complexe d’Abraham qui structure la relation du père au fils » (p. 205).

Deux chapitres traitent du traumatisme, « Les mots et la guerre » et « Le trauma dans la langue » qui s’appuie sur la lecture du livre de David Grossman « Un cheval entre dans un bar ». Serge Reznik montre comment le traumatisme s’attaque à la capacité même de penser : « Comment retrouver la capacité de penser ? Il s’agit de rétablir du lien, lien de parole qui repose sur la confiance en l’Autre, et par ce procédé de renforcer les forces de liaisons entre affects et représentations » (p. 256). Si l’imaginaire s’emploie à nouer le réel de l’effraction impensable au symbolique, ce n’est pas toujours sans risques ni échecs possibles. Incertitude qui n’empêche pas l’action.

Le livre se termine sur un poème qui est comme son envers, faufilage métaphorique de toutes les questions traversées dans la fulgurance du trait d’esprit : un élan vers la liberté.

Sandrine Malem

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