Sarah Stern nous relate son travail dans un centre pour enfants, au sein d’un secteur psychiatrique : celui de la Petite Couronne. Elle reçoit seule au début une fois par semaine en maternité. Elle y restera 12 ans. Elles seront 9 quand elle partira.
D’emblée, en parlant à la première personne, elle fait appel à notre empathie quand elle relate son travail. Il s’agit de faire preuve de neutralité bienveillante vis à vis d’une parole qui émerge et qui, dit-elle, « engage celle qui l’entend ».
C’est à l’apprentissage de ce métier de psychiatre-psychanalyse que l’on assiste à la lecture de ce livre. Les consultantes sont appelés des « patientes » terme que nous réservons habituellement aux gens qui s’engagent dans une cure psychanalytique.
De psychanalyse, il va être question, jamais directement, en filigrane de son écrit.
Les personnes travaillant dans l’équipe feront très vite l’unité par l’adhésion à un sentiment d’espoir contagieux, se disant que LES LIENS qui se créeraient « finiraient bien par changer la donne ».
Dans ce dispositif, se trouvent sans-papiers, précaires, traumatisés de l’immigration. L’enjeu pour « les psys » est, je la cite, de « s’inviter dans leurs rêves pour que se remette à fonctionner la machine à oublier et que puisse s’inscrire le présent ». La psychiatre-psychanalyste est prise à rebrousse-poil : il ne s’agit pas de rechercher des nœuds de signifiants qu’il faudra dénouer mais de faire repartir la machine à oublier. Dans les fragments de récits qu’elle nous livre, parfois une révélation se produit, je la cite « parler engage un processus de subjectivation où l’enjeu est peut-être de constituer un passé qui est aussi incidemment la condition d’un Désir ».
Ces récits cliniques font preuve de qualités littérairescertaines, doublées d’une interrogation psychanalytique constante. Comme par exemple quand elle se demande si la relation amoureuse dans laquelle est rentrée une de ses patientes avec l’agent de ménage, au demeurant fort bel homme, n’était pas un acting-out ?
A l’hôpital, la question de la vérité se pose toujours, peut-être parce qu’on a affaire à l’arrivée d’un enfant et qu’on ne ment pas à un enfant.
Comme avec cette patiente à la limite de la catatonie quand Sarah Stern partagera son sandwich avec elle, cherchant à faire advenir une parole : « on fait ce qui nous paraît incontournable et on est amenée la où on a plus de repères ». Aussi engage-t-elle une supervision avec un psy dans l’urgence.
Je n’entrerai pas dans le détail de ces récits cliniques qui parcourent les « patientes ». Je voudrais insister sur la délicatesse de son contretransfert. En témoigne la lettre qu’elle rédige lors d’un changement d’institution pour relater l’histoire de sa patiente.
Elle a peur de la blesser, le moindre effleurement peut l’égratigner. Elle pèse chaque mot. En fait, sa patiente se reconnaît, laisse les larmes s’écouler sur ses joues et dit un MERCI. « Jamais MERCI ne lui aura fait autant plaisir ».
De ce travail, se dégage une éthique professionnelle, parfois jusqu’au boutiste, que nous sommes invités à partager et que nous comprenons d’autant mieux qu’elle ne manque pas de parler d’elle- même, de son histoire familiale, de sa formation d’analyste et de son parcours de l’histoire de la folie à partir de Foucault et d’Oury.
Elle dira, en conclusion qu’il ne serait plus possible de travailler comme elle l’expose dans ce livre. C’est un document d’archive. C’est pour cela qu’elle l’a écrit.
Un document à lire assurément.

Edwige Encaoua, psychiatre et psychanalyste a débuté à l’hôpital de Plaisir-Grignon, s’est installée comme psychanalyste à Paris dans le 15ieme et à Bourg La Reine en 1988.