Tamara Landau Accoucher et faire naître

Dialogues et séparations durant la grossesse éditions IMAGO, 2019

Colette Hochart, psychanalyste.
Membre du Cercle Freudiene, 2 articles dans Che Vuoi, Numéro 36, Du féminin «L’amère jouissance». et Che Vuoi, Numéro 38, Les noms de la parenté. «Les grammaires d’être grand -mère»

 

Accoucher et faire naître

Après L’Impossible Naissance ou l’Enfant enclavé (2007, 2009) et Les Funambules de l’oubli, Origines de l’anorexie et de la boulimie (2012), Tamara Landau fait paraître  Accoucher et faire naître, Dialogues et séparations durant la grossesse, livre qui suit pas à pas les divers passages critiques qui ponctuent la gestation, depuis la conception jusqu’à l’accouchement ; elle souligne ainsi, en écho à son premier ouvrage, qu’il ne suffit pas d’accoucher pour faire naître et indique que « c’est pour mieux comprendre les femmes anorexiques et boulimiques que j’ai été amenée à explorer la vie utérine », dès lors que l’expérience clinique avait suggéré « qu’elles souffraient de réminiscences fœtales – plus exactement qu’elles luttaient avec des angoisses et des traumatismes qu’elles avaient connus avant leur naissance » ; angoisses inconscientes qui peuvent affecter les « dialogues » entre la mère et l’enfant pendant la gestation. C’est que « pour toutes les femmes, l’acte de procréation est par essence traumatique, même si tout se passe au mieux ! »

Tamara Landau, avec son expérience clinique, va dérouler les trois moments de la grossesse, les trois trimestres avec des sous-titres qui concernent la vie fantasmatique et les données physiologiques et neurologiques qui, dira-t-elle, président à ce temps de « révolution de l’esprit autant que du corps ». Ainsi, à partir des angoisses des femmes enceintes, de leurs rêves et de leurs cauchemars impliquant pulsions de vie et pulsions de mort, elle nous livre, avec beaucoup de générosité, les étapes de la grossesse, depuis l’apparition du fœtus dans le corps de la mère jusqu’à l’accouchement ; elle écoute la souffrance des femmes enceintes, où l’épreuve reconduit la femme dans les parages de l’originaire, au plus près de sa propre vie fœtale, brouillant l’ordre des générations dans une sorte d’emboîtement de poupées russes, éprouvant, comme le fœtus, les affres dans lesquels sa mère et sa grand-mère ont pu être plongées durant leur propre gestation, prenant en compte la petite et la grande histoire inconscientes de chacune. Grossesse encore qui fait revivre les fantasmes universels les plus archaïques (dévoration, meurtre…).

Cette clinique est une clinique de l’angoisse qui est à accueillir, à accompagner, à décoder et qui témoigne tant de moments de jouissance fusionnelle avec « sonbébé » que du sentiment de l’avoir perdu (« j’ai tué mon bébé ») ; angoisses qui vont retentir sur le vécu du fœtus et que l’analyste va contenir et nommer, afin de permettre de les refouler, au fil de « castrations symboligènes », pour que les pulsions d’autoconservation (de vie) triomphent sur les pulsions de destruction (de mort).

Si, pour Tamara Landau, la gestation ne va pas sans angoisse de mort, sans fantasme de meurtre et de perte, c’est qu’au sein de la symbiose entre la mère et l’enfant – « être deux dans un seul corps » – « c’est l’angoisse éprouvée par la mère qui fait exister l’enfant » ; car, dit-elle, « en somme, s’il risque de disparaître, c’est qu’il existe en chair et en os, qu’il n’est pas seulement un fantasme » ; seule l’angoisse de la mère signe l’existence séparée de l’enfant. Lorsque l’angoisse ne transparaît pas et que tout se passe « comme si de rien n’était » – jusqu’à la situation extrême du déni de grossesse -, le risque est que « la séparation symbolique n’ait pas eu lieu », consacrant la perte de l’enfant fusionnel. Ainsi seulement l’enfant perdable émerge de la fusion placentaire et prend une existence propre pour la mère.

Tamara Landau déroule les dialogues entre la mère et le bébé à venir pour qu’advienne la séparation – pour se séparer, il faut du lien – et elle témoigne de séquences cliniques où intervient la parole – nommer le fœtus dès le premier trimestre -, l’influence de la voix grave du père, jusqu’à énoncer que « dans la procréation la destruction est au service de la construction », processus que l’on retrouve au niveau biologique. Psychanalyste et chercheuse, elle fait référence aux nouvelles données scientifiques, jusqu’à établir une continuité entre la fin de la grossesse et les premiers mois de la vie, et son écoute joint l’inconscient au réel.

La lecture de ce livre ne laisse pas indifférente ; elle fait revivre des « états de corps ». Sa clinique concerne tout un chacun et s’avère être très actuelle avec toutes les questions que soulèvent les pratiques de FIV, de PMA et de GPA, le parcours de combattants de ces couples où la dimension psy n’est pas prise en compte. 

Ce livre a évoqué pour moi le travail que j’ai accompli en Maison verte, travail d’écoute des angoisses, attention aux mouvements du bébé avant le langage, tissage de lien entre les enfants et leurs parents, travail de prévention où après une première grossesse difficile, Tamara Landau avec le gynéco va écouter l’état psychique de la mère, nommer ses angoisses, pour qu’une deuxième grossesse soit possible.

Colette Hochart

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