L’Invité : mardi 9 novembre 2004

Tamara LANDAU pour son livre "L’impossible naissance ou l’enfant enclavé" Editeur Imago Présentation par Delia Kohen

 

 

Je suis née apatride en Italie, de parents d’origine hongroise de Transylvanie, rescapés de la Shoah.
Depuis ma naissance, j’ai été leur psychanalyste et leur interprète.
Plongée dans un babel sonore de langues qui ne m’étaient pas adressées, hongrois, roumain, yiddish, allemand, hébreu.
Je me suis bâtie dans l’orée des alphas privatifs qui émaillent mes prénoms,
Lovée dans la chaleur sensuelle de l’italien, ma langue d’adoption.
Cette langue que, déjà petite, je m’escrimais à enseigner à ma mère.
Mon rêve d’enfant, quand je me parlais dans toutes ces langues devant le miroir,
Pour singer les gestes mais surtout pour chercher un interlocuteur,
C’était d’inventer une langue au moins européenne.
Je me suis battue toute ma vie soutenue par ce désir,
Dont il me reste, comme vestige, un accent très mélangé.

Je me considère aujourd’hui comme une psychanalyste-artisan polyglotte :
J’ai été apprentie chez des seniors de la psychanalyse de langues différentes
Et je me situe, dans ma pratique ordinaire, du côté des femmes et des naïfs.
Je ne suis ni une savante, ni une scientifique et j’avance grâce à mon intuition,
En essayant d’entendre,  de « voir  » avec mes yeux et de continuer à penser.
Transmettre mes réflexions par l’écriture a été pour moi une épreuve.
Il a fallu pour cela que j’attaque d’abord la pierre, au scalpel et au burin, à la main,
J’ai osé entamer le « roc d’origine  » de la castration primitive,
Formuler l’impensable de la Mère primordiale
Et imaginer le réel inhumain de la procréation. »

Tamara Landau nous met d’emblée, dans cet avant propos, au vif des enjeux qui portent son livre. C’est avec beaucoup de plaisir et d’intérêt que j’accueille ce livre qu’elle a bien voulu me mettre dans les bras.
L’auteure avance avec détermination dans la direction qui l’intéresse et propose ses intuitions raisonnées à partir d’une clinique de 30 ans avec des patients adultes. L’absence de  » langue de bois « , la fraîcheur de son désir d’analyse donne à ce livre son aspect très stimulant qui contraste avec l’ensemble des publications actuelles en psychanalyse.

Tout le long du livre, elle communique à ses lecteurs, des réflexions cliniques extrêmement précieuses pour les psychanalystes ayant aussi une pratique de la psychanalyse avec des enfants. La recherche passionnée qui porte le livre évoque les textes des pionniers de la psychanalyse, Sandor Ferenczi avec lequel elle partage une passion psychothérapique, Mélanie Klein, celle que Lacan appelait  » la tripière de génie « , la première à s’être aventurée dans l’espace psychique du nourrisson.

C’est durant une exploration artistique dans un atelier de sculpture, que Tamara accouche, nous dit-elle de son intuition.  » M’étant mise à modeler à mon tour une mère avec l’enfant dans les bras, quelle n’a pas été ma surprise de voir surgir de l’argile une femme  » très  » enceinte, prête à accoucher ! L’inquiétante étrangeté ressentie devant ma maquette m’a fait comprendre que j’étais arrivée au terme d’un long processus d’incubation d’une idée et que j’étais, en quelque sorte, précipitée vers son accouchement. »
C’est dans l’espace « mythique  » de l’intimité fusionnelle qu’elle s’aventure, enrichie d’expériences d’artistes, danseurs qui l’instruisent à  » l’apesanteur  » et au « mouvement ».
Tamara Landau propose dans ce livre des hypothèses hardies. Elle remonte au temps premier de la vie fœtale et décrit déjà un  » appareil d’emprise « très structuré et les mécanismes très élaborés qui produisent la possibilité pour l’enfant et la mère de se dégager de la fusion originaire.

La place que Tamara Landau accorde aux pulsions de destruction et de meurtre  sont très éclairantes. Un travail tout à fait freudien où s’affrontent sans cesse  » éros  » et  » thanatos  » dès l’origine. Le transfert primordial, le jeu des identifications, les fantasmes originaires, les différentes étapes de la castration primitive, le narcissisme primaire éclairent les conditions de  » l’individuation ».
La métaphore de  » l’enclave  » et de  » l’arbre renversé  » est l’intuition forte que T. Landau développe dans ce livre.
Un patient désigne cette invention  « clivette », outil de jardinage utilisé pour couper un bulbe et en faire deux boutures ».
L’enclave est aussi une formule heureuse pour rendre compte de la clinique de patients qui souffrent d’angoisses, de phobies, du sentiment de « ne pas avoir de corps  » et de ne pas  » exister réellement  » dont on comprend mieux les origines précoces et très archaïques.

Il y a dans ce livre un véritable travail de recherche et d’ouverture tout à fait innovant. Il témoigne aussi de l’énorme travail psychique nécessaire au psychanalyste pour pouvoir continuer à soutenir son acte et ce qui pousse à l’écriture.
C’est un travail tout à fait dans l’actualité des questions que pose le statut du fœtus avec les questions d’éthique et de politique qui en découlent.

Delia KOHEN

 

 

 

 

 

 

 

   

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