Yann Diener

" On agite un enfant " L'Etat, les psychothérapeutes et les psychotropes Editions La Fabrique, Paris, 2011

 

Edit Mac Clay, psychanalyste à Paris et consultante au B.A.P.U. Luxembourg.
Elle est membre de « La lettre lacanienne, une école de la psychanalyse ».

 

 

Edit Mac Clay a lu « On agite un enfant »

Le livre de Yann Diener « On agite un enfant. L’Etat, lespsychothérapeutesetlespsychotropes » a été controversé et a suscité des polémiques.

De sa place de consultant d’un CMPP, Yann Diener nous emmène dans le parcours de parents confrontés aux difficultés scolaires de leur enfant. L’école, la société, les nouvelles reformes du système médico-social demandent aux enfants de s’adapter le plus vite possible au système établi. Tout symptôme doit disparaître rapidement pour que la machine ne soit pas gêné.

Yann Diener met en lien les avatars des enfants pris en charge au CMPP avec ce qui se passe dans notre société néo-libérale et son impératif de plus en plus féroce de performance et de rentabilité. « Pour la psychanalyse, nous explique Yann Diener, le symptôme est une solution  que le sujet a trouvé pour dire qu’i refuse la place qui lui est assignée et qu’il s’est assigné. C’est particulièrement évident avec le symptôme d’agitation: l’enfant qui ne tient pas à la place qui lui est assignée ne tient pas en place. »

Dans ce système social, le symptôme de l’agitation de l’enfant est trop souvent traité par la Ritaline, médicament importé des U.S.A qui suscite des controverses en raison de ses effets secondaires nocifs.

L’auteur, dans l’analyse de la situation actuelle, cherche à comprendre comment nous sommes arrivés à ce point où la notion du symptôme glisse vers celle de handicap.
Il énonce deux hypothèses qui pourraient être à l’origine de ces glissements dans le discours. 
La première hypothèse serait que la LMS (la langue médico-sociale) imprégnée par le discours  néo-libéral, transforme les pratiques, notamment dans les institutions de soin comme les CMPP. Ces institutions sont associés historiquement à un autre discours, celui de la Psychanalyse. En effet, il ne faut pas oublier que ce sont des psychanalystes qui sont à l’origine de la fondation des CMPP. Aussi, Yann Diener cite-t-il la phrase de Freud « On cède d’abord sur les mots, et puis peu à peu sur la chose ».
Le fait de déterminer au préalable le temps qu’il faut pour « soigner » un enfant ne permet pas que les coordonnées du symptôme soient déployées en respectant le temps psychique de cet enfant et de ses parents. Si on ne s’accorde plus ce temps nécessaire au travail, le symptôme est renforcé, déplacé du côté d’une classification médico-sociale et  inclus dans la catégorie « handicap ».

La deuxième hypothèse, serait la mise en question de la responsabilité des psychanalystes, eux même, dans ces glissements langagiers dans la mesure où ils reproduisent l’idéologie ambiante de la rentabilité. Yann Diener invente le terme de nov-langue psychanalytique. Celle-ci serait un dialecte de la LMS (langue médicosociale-sociale), que les psychanalystes utiliseraient pour mieux s’adapter aux demandes de l’Etat. En faisant des concessions sur les mots, ils trahissent le discours de la psychanalyse. Ainsi l’usage de la nov-langue tend à inclure la psychanalyse actuellement  particulièrement attaquée, dans un discours d’adaptation sociale.

En tentant de « sauver la psychanalyse », on la contorsionne et on la dénature dans l’usage de cette nov-langue.
Yann Diener dénonce l’attitude des psychanalystes qui, par des intérêts corporatistes, ont participé aux négociations  avec le Ministère de la Santé sur la réglementation des psychothérapies induisant, ainsi, une confusion entre psychothérapie et psychanalyse.

Ce dernier point provoque des réactions virulentes chez un certain nombre d’analystes, au point parfois d’empêcher le débat.
Parmi ces réactions un mot revient souvent: « On agite un enfant » a été à plusieurs reprises qualifié de « petit livre » ce qui doit attirer notre attention:

On peut lire, par exemple, sur le net, dans LacanQuotidien : « Ce petit livre bleu qui agite le chiffon rouge ».

Le qualificatif de « petit » fait écho à d’autres expressions que nous entendons trop souvent dans les réunions de psychanalystes. Par exemple « c’est une petite école » pour désigner les associations qui ont peu de membres ; ou « c’est un petit » pour désigner ou bien un jeune analyste ou bien un analyste peu connu.
Ou encore le mot « petit » est associé au mot « minoritaire » pour désigner les psychanalystes engagés contre la réglementation de psychothérapies, comme par exemple les signataires du « Manifeste pour la Psychanalyse ».

Si le qualificatif de « petit » est utilisé de manière méprisante, il faudrait, alors, en retourner le sens en disant que le livre de Yann Diener a fait  « des petits ». Et, dans sa prise de position, bien qu’il appartient à la nouvelle génération des psychanalystes « il ne s’est pas fait tout petit ».

D’ailleurs ce livre, qui de fait, a la taille d’un livre de poche, il vise grand car il n’est pas réservé à la seule lecture des psychanalystes savants mais il est lu par un public plus large qui semble paradoxalement l’apprécier à sa juste valeur.

Ce petit détail soulève apparemment un problème de taille : comment nous, psychanalystes, avons-nous la capacité de mettre en question nos actes dans la cité, et comment pouvons-nous nous positionner de manière responsable face au discours que l’Etat veut nous imposer, tout en restant en accord avec le discours de la psychanalyse  que nous prétendons soutenir.

Edit Mac Clay

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