Yaelle Sibony-Malpertu Se défaire du traumatisme

Symptômes post-traumatiques et transmissions familiales Editions Desclée de Brouwer, 2020

Catherine Petiteau
Psychologue et psychanalyste.  Exerce en institution et en cabinet à Paris et à Montreuil (93). Membre de la Fédération des Ateliers de Psychanalyse. A participé au séminaire ‘guerre et trauma’ de F. Davoine et JM Gaudillière à l’EHESS et contribué par des traductions aux numéros: -220 Une clinique de l’extrême, Dori Laub/-221 La vie des morts parmi les vivants/ -230 Exils et migrations, du Coq Héron.

Avec simplicité et dans une belle qualité de présence, l’auteure développe une réflexion instruite et pragmatique qui propose des repères pour comprendre et dénouer l’emprise traumatique. Elle se situe en dehors d’une pensée victimaire qui figerait et ne permettrait pas une historisation à partir du présent de l’individu. Cette clinique est « transnosographique ». On la retrouve dans la plupart des thérapies, dans son lien avec des événements issus de la guerre ou du totalitarisme, mais aussi dans des violences extrêmes et perverses commises dans l’espace domestique (violences qui parfois découlent des traces enfouies au sein des lignées par les précédentes). Les manifestations peuvent en être discrètes, lorsque le drame ancien semble avoir été surmonté au prix d’intenses efforts psychiques. Mais à la faveur d’un fait extérieur, la catastrophe resurgit, intacte, sous la forme d’états émotionnels et sensoriels autonomes. Le trauma a continué en silence sa destruction. Yaelle Sibony-Malpertu montre comment reconnaître et se saisir de ces manifestations, expliquant aussi pourquoi le savoir traumatique ne peut être distingué du fait de ne pouvoir être dit à un autre. Cette mémoire est non inscrite car non symbolisée, forclose du connaissable, « retranchée « , selon le terme utilisé par Françoise Davoine et Jean-Max Gaudillière pour qualifier cet inconscient qu’on ne peut ni se remémorer ni oublier.
L’auteur approfondit la manière dont les psychanalystes Dori Laub et Nanette Auerhahn décrivent différents niveaux de savoir et de non savoir dans le trauma psychique massif. Inconnaissable par une approche directe, mais seulement au travers de traces, le trauma incarne la mort dans la vie. Il attaque « ce qui permet de nouer des liens », qu’il s’agisse des liens intersubjectifs ou des liens de pensée. Cet écueil est dangereux tant pour une personne que pour un groupe humain ou une société. Entre trouvailles et désespoir, l’issue du trauma sera liée à des rencontres de choses ou d’êtres vivants auxquels il sera possible de s’accrocher ou qui entraîneront vers le sans fond. Ce qui est remarquable, c’est le rappel que, bien qu’il se rapporte à des faits précis et datés, le traumatisme n’est pas l’événement dont la personne a été victime ; il est le traitement que la personne fait subir à sa psyché pour survivre à cet événement qui « ne passe pas ». Les réactions traumatiques ont permis la survie lors de l’expérience catastrophique où l’individu a pu être privé d’une altérité empathique. Mais elles se sont peu à peu développées comme un corps étranger et nocif.  Elles maintiennent dans le présent le sentiment de solitude absolue vécu alors, gardant la personne à l’écart du monde et d’elle-même. Celle-ci doute d’être autre chose que ses propres manifestations symptomatiques, et ne sait plus qui elle est. La notion de dissociation donne paradoxalement l’espoir de s’en sortir, de retrouver son soi. Elle permet, en nommant la partie étrangère au présent qui prend possession de la psyché, de se déprendre de l’image du soi-créé-pour-la-survie, image qui peut être aussi celle que l’agresseur a construite lorsqu’il était l’unique autre disponible.
Ce texte exprime la confiance dans la valeur de l’inscription symbolique et de l’échange. Il soutient une vérité plurielle, orale, contre l’idéologie et les détournements qui « fascinent la pensée pour la détruire ». Il pose le témoignage comme un acte ponctuel, tout en insistant sur les résonances de la grande Histoire – de ses guerres et de ses enjeux politiques–, sur l’histoire individuelle. Yaelle Sibony-Malpertu prend aussi appui sur les travaux de neurobiologistes (Bessel van der Kolk), de cinéastes, d’historiens comme Ivan Jablonka et d’écrivains contemporains comme Gaël Faye et Alice Zeniter.
À partir de son expérience clinique et personnelle, aux côtés des témoins de ces catastrophes provoquées par les hommes, l’auteure cherche à construire avec le patient un savoir qui le rende à nouveau vivant. Elle considère que la douleur n’est pas définitive et aussi qu’il est nécessaire d’aider une personne dont l’humanité a été blessée à « entrer à nouveau en adulte dans le jeu social ». L’analyste doit parfois, dans les moments de rechute qui suivent les avancées, tenir pour deux la continuité du discours et l’unité de la personne, au travers d’une écoute « passionnée, intense, presque palpable », tant la fascination du trauma et du vide est puissante. Il ou elle tente alors des « greffes de sens »pour permettre au patient de « garder en soi cette chose qu’il a pensée », afin que soit pris en compte le chemin parcouru et que puisse se poursuivre la reconstruction « des conditions de possibilité d’un dialogue intérieur ». Tous deux explorent ensemble « l’épaisseur d’une image », voyant si d’autres « s’y sont dissimulées » dans un mouvement d’aller et retour qui évoque celui du métier à tisser. Assuré que ses pensées ne « seront pas utilisées pour mettre en avant des contradictions ou dévaloriser sa parole », le patient peut se risquer à les énoncer ; il expérimente la sensation de se sentir « libre par la suite de les rejeter ou de les nuancer ». Ainsi se construit, à partir de « bribes qui ne renvoient à rien » et qu’obture parfois « le refus de réplique », un récit vivant. Car « les polarités de l’intelligence sont moins celles de la vérité et du mensonge que celles de différents éléments de vérité, qui jamais ne rendent caduque la nécessité de l’interprétation ». La liberté respectueuse de ce rapport au savoir et à la pensée, donne envie de partager personnellement et professionnellement ses propres expériences.

Catherine Petiteau

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