C’est un ouvrage difficile qui retrace la naissance de l’objet a, concept majeur de la pensée de Jacques Lacan ; « l’angoisse comme béance entre jouissance et désir que surgissent l’objet a de Lacan et le A barré (Grand autre barré). Et Christian Fierens taille dans les élaborations de Jacques Lacan six parties qu’il traite au fur et à mesure, et pas forcément dans l’ordre du séminaire. C’est à la fois éclairant et touffu.
Pour moi, la voix de Lacan s’éloigne à lire ce texte, et je reste partagée : les annotations cliniques ou théoriques sont quelquefois lumineuses, mais d’autres sont affirmées ex abrupto ! (analyse infinie pour les femmes, finie pour les hommes, p 160). Certains schémas de son cru sur la névrose obsessionnelle, ou de poser « deux façons de pratiquer le transfert » sont vraiment intéressants en s’appuyant sur la topologie du cross-cap. Dans un certain sens, Christian Fierens en réinvente le maniement. C’est assez loin du séminaire de Lacan, et c’est une véritable nouveauté, du moins dans sa présentation. Ainsi, il revient souvent sur l’idée d’une clé pour traverser le séminaire, et ses chapitres les déclinent avec des excursions sur d’autres textes, (subversion du sujet et dialectique du désir, surtout) d’autres séminaires, de Lacan, mais aussi de Freud ou de Hegel. Aussi défend-il la thèse que l’unique séance du séminaire sur les noms du père est une partie intégrante du séminaire de l’angoisse, et comme sa conclusion, dans le moment historique où Lacan est exclu de la SFP. Son enseignement bascule alors, et quand il le reprendra en janvier 64, dans un autre lieu, Lacan repart en quelque sorte du départ avec le séminaire sur les 4 concepts, il a changé de public, et on peut dire qu’il a changé de ton. Il assume d’être l’inventeur d’une « nouvelle » psychanalyse, en revenant sans cesse à des expériences communes (la boite de sardine, ce qu’on appelle « le hasard »).Aux néophytes qui demandent comment s’introduire à la pensée de Jacques Lacan, je conseille toujours le séminaire XI. Peut-être est-ce la perception de cette rupture qui baigne la lecture : on est sur un chemin qui se perd dans une forêt et qui n’aboutira pas ! Les psychanalystes de la SFP n’ont pas voulu …
Maintenant, ce livre marque la continuité d’un travail de plus d’une quinzaine d’années, centré sur cette idée d’une « lecture », et dans un certain sens, il me semble que le lecteur assiste à une élaboration philosophique de la réflexion de Lacan. Pour moi, en toute humilité, il reste assez difficile de repérer ce qui est invention de Christian Fierens, et ce qui est commentaire de Lacan. C’est peut-être le drame d’une posture de lecteur.
Jeanne LAFONT. Mes livres : Chez Point hors ligne, Topologie ordinaire de Jacques Lacan, 1986; Topologie lacanienne et clinique analytique, 1990. Les pratiques sociales en dette de la psychanalyse, 1994. Chez EFEdition. Les dessins des enfants qui commencent à parler, 2001; Six pratiques sociales, (livre collectif), 2006; La langue comme espace, 2015.