Quel petit livre étonnant, assez difficile à lire, tellement le point de vue reste original ! A chaque page j’étais obligée de faire un effort pour rester dans la dimension de ce qu’elle évoquait.
Le livre s’appuie sur beaucoup de références, de réflexions et d’expériences personnelles à propos des commentaires de divers auteurs sur les cartographes de tous les temps : par exemple sur « Le rivages des Syrtes » (p67seqq) de Julien Grach, (où l’on sait la salle des cartes a une position centrale) l’auteur nous résume les commentaires du géographe Leo Lacoste, mais aussi des entretiens avec Jean Louis Tissier, et le livre d’Erik Orsenna (son nom de plume est le nom de la ville du rivages des Syrtes, Orsenna) , mais reliés au séminaire de Françoise Davoine et Jean Max Gaudillère, puis les premières pages du livre sur « les mémoires de guerre » de Bion. Plus, elle introduit tout ce développement par le récit d’un acte manqué où, pressée tout d’un coup par le temps, elle ne fait pas une bonne sauvegarde de son texte ! C’est dire que le propos, riche et très documenté, reste intime, à l’affut des formations de l’inconscient.
Ou encore le cas de Toby Shandy (raconté par Tristram, le héros de Sterne) qui blessé à Namur, peut enfin sur une carte de la citadelle « ficher une épingle à l’endroit exact où il se trouvait lorsque l’éclat de pierre l’a frappé » (p 31) et ainsi « passer du chaos de la bataille imprimée sur son corps, aux repères … », et trouver la parole qui soigne.
Plus actuel, le livre s’intéresse particulièrement aux traumas qu’a pu provoquer la guerre d’Algérie, chez des analysants, des familles, le roman de Nabil Farès, l’écriture d’Hélène Cixous, et le roman d’Alice Zeniter dont elle raconte qu’il a pris une « place singulière dans son cabinet d’analyste » (p57)
Son hypothèse d’une géographie psychique emporte l’adhésion, et que ces géographies personnelles sont la trace de l’inconscient, voire une forme d’écriture … aussi … mais je vous laisse découvrir les pages sur l’écriture de Freud, les tableaux de Vermeer, les sculptures de Karim Ghelloussi et la carte de couverture !
Dans ce maestrom d’analyses profondes et pertinentes, travail d’orfèvre sur les créations de l’inconscient et les sublimations, on se demande pourquoi citer la « dimension structurale de la métaphore» de Paul Laurent Assoun : on 17ème siècle, on appelait ce genre de formule « se payer de mots » !

Jeanne Lafont, psychanalyste, psychothérapeute. Mes livres : Chez Point hors ligne, Topologie ordinaire de Jacques Lacan, 1986; Topologie lacanienne et clinique analytique, 1990. Les pratiques sociales en dette de la psychanalyse, 1994. Chez EFEdition. Les dessins des enfants qui commencent à parler, 2001; Six pratiques sociales, (livre collectif), 2006; La langue comme espace, 2015.