Roland Gori est professeur émérite de psychopathologie clinique à l’Université d’Aix-Marseille, psychanalyste, membre d’« Espace analytique » et essayiste. Il est l’Initiateur avec Stefan Chedri de l’Appel des appels en décembre 2008, et Président depuis sa fondation, un mouvement qui critique les dérives de la société contemporaine. Il est également cofondateur du réseau Méditerranée, psychanalyse et cultures avec Jalil Bennani, Marie-José Del Volgo et moi-même.
Parmi ses nombreuses responsabilités, Il a siégé dans plusieurs commissions ministérielles. Il a assuré quatre mandats au CSCU puis au CNU en tant que membre élu du collège des Professeurs de 1980 à 1983 et de 1992 (Vice-Président de la commission de 1992 à 1996, Président en 1998 de la 16E section du CNU) à 2003, et a été expert au ministère de la Recherche à cette période. Il a créé la revue Cliniques méditerranéennes considérée comme qualifiante. Il en est le directeur depuis sa création en 1984. Dans le cadre du plan quadriennal 2000-2003, il a assuré la direction de l’équipe d’accueil de Psychopathologie clinique.
Il a participé à la direction et à la fondation d’un réseau inter-universitaire de psychopathologie clinique et psychanalyse (SIUEERPP) qu’il a présidé de 2003 à 2010, Président d’honneur depuis 2010. C’est dire son engagement constant pour la psychanalyse au sein de l’Université française.
Il a publié une trentaine d’ouvrages, qui ont fait date. Ilest reconnu pour ses analyses critiques des dérives technocratiques et gestionnaires dans les domaines de la santé mentale, de l’éducation et du travail. Roland Gori s’intéresse particulièrement aux conséquences de la rationalisation excessive sur la subjectivité humaine
Ces ouvrages sont notammentLa Fabrique des imposteurs (Les Liens qui Libèrent, 2013), Et si l’effondrement avait déjà eu lieu. L’étrange défaite de nos croyances (Les Liens qui Libèrent, 2020) ainsi que La Fabrique de nos servitudes (Les Liens qui Libèrent, 2022). Mais aussi La Nudité du pouvoir : Comprendre le moment Macron (2018), Un monde sans esprit : La fabrique des terrorismes (2016), L’Individu ingouvernable (2015), Faut-il renoncer à la liberté pour être heureux ? (2014), La Fabrique des imposteurs (2013), La Dignité de penser (2011), La Folie Évaluation : le malaise social contemporain mis à nu, avec Alain Abelhauser&Marie-Jean Sauret (2011), De quoi la psychanalyse est-elle le nom ? (2010), L’Appel des appels : Pour une insurrection des consciences, co-dirigé avec Barbara Cassin (2009), Exilés de l’intime : La médecine et la psychiatrie au service du nouvel ordre économique, avec Marie-José Del Volgo (2008), L’Empire des coachs : Une nouvelle forme de contrôle social, avec P. Le Coz (2006)
Il est également l’auteur du documentaire « Roland Gori, une époque sans esprit » réalisé par Xavier Gayan en 2021, qui est un portrait de sa pensée et de son engagement contre le délitement de notre société. Il montre qu’aujourd’hui nous vivons dans un monde où la logique de rentabilité s’applique à tous les domaines. Les lieux dédiés aux métiers du soin, du social, de l’éducation, sont gérés par des managers ou des experts pour qui seul comptent les chiffres, niant les besoins humains. Ce documentaire est projeté dans de nombreuses villes françaises, et en Italie récemment, suivi de débats avec différents publics, faisant ainsi saisir la place nécessaire de la psychanalyse aujourd’hui.
Ses travaux portent donc principalement sur la critique des nouvelles formes de contrôle social et la défense des valeurs humanistes, en articulant plusieurs disciplines : la psychanalyse bien sûr, mais aussi la philosophie, la sociologie, la littérature et la poésie. Roland Gori est donc un passeur très important et infatigable de la psychanalyse, car il fait entendre notre discipline au-delà de ses frontières, à travers ses ouvrages et d’autres supports comme un documentaire, s’adressant à toutes les générations de psychanalystes, faisant ainsi œuvre de transmission.
Son dernier ouvrage « Dé-civilisation, Les Nouvelles logiques de l’emprise » paru aux Éditions Les Liens qui Libèrent, en février 2025, est particulièrement important, d’autant plus aujourd’hui, alors que notre monde subit plusieurs chocs, notamment la guerre en Ukraine, c’est-à-dire une guerre sur le sol européen, l’arrivée d’un président américain qui souhaite bouleverser l’ordre du monde, et d’autres conflits, malheureusement toujours non résolus.
Roland Gori analyse les mécanismes contemporains qui conduisent à une « dé-civilisation » de nos sociétés. Il rejette l’idée que cette dégradation soit imputable à des « sauvageons » ou des « barbares », mais l’attribue plutôt à une société qui sacrifie la culture du dialogue et entrave les processus de pensée au profit d’une civilisation des mœurs. Selon Gori, l’Autre n’est plus perçu comme un partenaire de reconnaissance symbolique, mais comme un adversaire dans des guerres sociales où chacun mesure sa force. Il souligne également la dégradation de la fonction critique du langage, pervertie par les fake news, la propagande de masse et l’infobésité des réseaux sociaux, qui favorisent la force et le cynisme au détriment du désir de vivre et d’aimer. Face à cet état de fait, Roland Gori appelle à réinventer des conditions sociales et culturelles permettant aux individus de penser et de partager le sensible, en plaçant la puissance de l’imaginaire des langues au cœur de l’invention démocratique.
Ainsi nous dit-il (Page 99) : « La vie est création continue de « formes » dont l’apparence de permanence et de continuité relève en partie de l’illusion; défaire ces formes permet de donner un devenir à notre destin. Pour ce faire, la psychanalyse montre qu’il nous faut accueillir, un temps, notre vulnérabilité, affronter le chaos afin de pouvoir librement transgresser les apparences. Tout artiste, tout écrivain, tout chercheur, tout artisan, connait ce moment de trouble et d’angoisse qui précède l’élation créatrice. Mais tous savent aussi que créer suppose des conditions sociales et psychologiques « suffisammentbonnes » pour ne pas redouter et entraver ce moment de vulnérabilité. Faute de quoi chacun sait qu’il peut, peuple ou individu, groupe ou communauté, s’exposer aux processus d’ «emprise », emprise d’un chef tyrannique ou emprise d’un appareil totalitaire. À moins que dans une insensibilité vengeresse il ne se fasse lui-même prédateur. »
Pour conclure, dans son ouvrage « Dé-civilisation -Les Nouvelles logiques de l’emprise » », Roland Gori nous propose une lecture nécessaire et critique des fonctions du langage et plaide pour replacer la psychanalyse au centre de laculture. Il met en garde contre les perversions politiques du langage qui prévalent aujourd’hui et appelle à se défaire de leurs emprises sociales et psychologiques en réinventant des conditions sociales et culturelles propices à la pensée et au partage du sensible.

Vannina Micheli-Rechtman, Psychiatre, psychanalyste, philosophe, Vice-Présidente d’Espace analytique.