Dalila Arpin
Couples célèbres Liaisons inconscientes
Navarin Le Champ Freudien, 2016, 208 p.

Un souffle de mystère entoure les liens amoureux. Aimer se décline de bien des façons. L’aphorisme lacanien : « Il n’y a pas de rapport sexuel », montre que l’harmonie parfaite entre les sexes relève d’une illusion. Cela est révélateur des impasses rencontrées dans la psychopathologie du couple. Ce qui supplée au rapport sexuel, dit Lacan, c’est l’amour médiatisé par le langage. Il y a donc de la place pour l’invention. Mais comment situer l’amour entre l’Un et l’Autre ?

Dans le présent ouvrage, qui illustre parfaitement la complexité des liens amoureux, Dalila Arpin explique, dès l’introduction, comment la liaison inconsciente du couple que formaient ses parents s’est déchiffrée de façon saisissante pendant son analyse. Son prénom, aussi, suscitait invariablement la question : « Et Samson, où est-il ? ». Samson et Dalila est ainsi le premier couple célèbre qu’elle ait rencontré.
L’amour est affaire de mots, dit Dalila Arpin. Mais il est aussi recherche d’un objet précieux, merveilleux, niché au sein de l’être aimé. Il n’y a pas de formule écrite à l’avance, mais quelque chose s’écrit dans la rencontre; nos sentiments sont alors pris dans un écheveau de mots et de leurs équivoques. Mais parler peut devenir sujet à malentendus. Chacun s’adresse à l’objet chez l’autre. Ce qui n’est ni symétrique, ni réciproque. C’est pour cela que quand il y a rencontre, c’est exceptionnel. Il y a rencontre quand la langue singulière de deux parlêtres  résonnent.

Psychanalyste à Paris, originaire d’Argentine, Dalila Arpin est membre de l’Ecole de la Cause Freudienne et membre de l’Association Mondiale de Psychanalyse. Maître de conférence à la section clinique de l’Université Paris 8, elle codirige la revue Latigo (The lacanian Transatlantica de Investigacion).

S’il n’y a pas d’entente parfaite, il y a pourtant des amours, nous dit Dalila Arpin. Actuellement, les rapports amoureux semblent de plus en plus difficiles. Sous l’empire de l’Un tout – seul. La clinique en témoigne. Pourquoi, alors, passer sa vie à deux plutôt que seul ? Quel est le nouage qui lie un homme et une femme ? Que peut-on en déduire ? Dans certains cas, s’agit-il d’amour ou de sacrifice ? Quand chacun parle la langue de son inconscient, comment l’amour est-il possible ?

Ce livre cherche à cerner la singularité du lien amoureux de huit couples célèbres, qui mettent en lumière notre position subjective, en référence aux concepts freudiens et lacaniens. À partir de l’interrogation  « comment fait-on couple ? », de la dissymétrie entre les partenaires, de la diversité de ces couples, Dalila Arpin a cherché à trouver dans chaque trajectoire, dans chaque cas, un fil conducteur, des notes singulières, dans leur rapport au réel.

Dans la première partie intitulée « Les couples mythiques », Scott Fitzgerald cherche à combler Zelda, une femme fragile, tandis que Juan Domingo Peron sauve une femme de la pauvreté, Eva, et que le Che Guevara épouse une femme blessée, Aleida. Dans la seconde partie, « Les couples improbables »,  Gala  voue sa vie à protéger Salvador Dali de l’angoisse, alors que Arthur Miller sauve l’orpheline derrière Marilyn, la femme fatale, et que James Joyce, l’érudit, séduit Nora, la belle ignorante à la voix chantante. Sous l’appellation « Couples clandestins », on retrouve Hannah Arendt avec Heidegger et Dora Maar avec Picasso, qui font toutes deux l’expérience du ravage dans la relation amoureuse.
Dans le cas du couple de Hannah Arendt et Martin Heidegger se trouve l’illimité de l’amour au féminin. Le rapport à l’autre prend ici la valeur de l’infini et a pour conséquence un don qui ne connaît pas de limites.

A quoi tient le lien amoureux ? Selon l’auteur, l’essentiel, pour chaque partenaire, agit à son insu. Il s’agit de faire entendre en quoi le partenaire symptôme, dans un couple, fait résonner l’expérience d’une vie. Le symptôme de l’un entrant en résonance avec le symptôme de l’autre.

Dans le rapport de Joyce à Nora, il y a eu du rapport sexuel, mais un « drôle de rapport sexuel », indique Dalila Arpin. Selon Jacques Lacan,  « la femme est un symptôme pour l’homme ». C’est ainsi que Joyce a pu écrire grâce à son symptôme, grâce à Nora, son symptôme. Nora est un gant retourné par rapport à Joyce. C’est sa façon à lui de considérer qu’elle lui va comme un gant. Le gant ayant une fonction de serrage. « Un homme ne rencontre la femme que dans la psychose » est valable pour James Joyce. Car il n’y a pour lui qu’une seule femme. Elle va être La femme. Cette femme rencontrée dans la rue va être Sa femme. « Elle le serre comme un gant, elle ne sert à rien », dira Lacan. Mais elle lui sert de cadre, de suppléance imaginaire. La littérature aussi est un serrage, remarque l’auteur.
Après sa séparation d’avec Picasso, Dora Maar entre en traitement avec Lacan. Elle se réfugie alors dans la religion. Au cours d’une correspondance avec Paul Eluard, qui la demande en mariage, elle répond : « Après Picasso, seulement Dieu ».

Il est de l’ordre de l’extraordinaire que deux êtres puissent s’entendre, dit la psychanalyse lacanienne. Cependant, cet ouvrage a réussi à montrer, avec clarté, joie et légèreté de style, combien le nouage est en jeu dans les affaires de couples, et comment une rencontre peut-être une bonne rencontre, sur le fond de « ça rate ».

Annik Bianchini Depeint

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