Cette correspondance de Sigmund Freud, le « père de la psychanalyse » avec Eugen Bleuler, le « père de la schizophrénie », s’étire sur trente-trois ans. Considérée comme l’une des grandes correspondances de Freud, elle n’avait pas été publiée en langue française à ce jour. Au total 79 lettres ont pu être conservées, dont 24 de Sigmund Freud et 55 de Eugen Bleuler, du fait de la perte d’un certain nombre d’entre elles. Parallèlement, 147 pages de commentaires et d’essais de divers auteurs accompagnent cet ouvrage.
Dans son avant-propos, Tina Joos-Bleuler, la petite fille d’Eugen Bleuler, explique comment elle a pu surmonter les différents obstacles liés à cette publication. Elle laisse la parole à son père, Manfred Bleuler, qui résume ainsi la nature de la correspondance entre Freud et Bleuler : « Les premiers contacts de mon père avec Freud remontent à 1892, à l’époque où il prit parti pour celui-ci au sujet des aphasies sous-corticales. Il s’en est suivi une relation amicale durable. Les lettres (de Freud) s’étendent de 1906 à 1937. (…) Mon père vénérait Freud pour ses théories, Freud appréciait les travaux de mon père et ses prises de position. Mon père soumit à Freud quelques-uns de ses rêves pour interprétation. Il admirait son œuvre mais formulait aussi des critiques et posait des questions. Freud y répondit peu. » Le matériel ayant été utilisé dans cette œuvre comporte des lettres originales (manuscrites, dactylographiées ou dictées), aussi bien que des transcriptions d’époque. Tout au long de l’ouvrage, le lecteur a accès à une période historique vivante : la création de l’Association psychanalytique internationale, le moment où Zurich est devenue la capitale du mouvement psychanalytique, la dissension avec Jung… On y découvre aussi une relation méconnue entre Freud et Bleuer. Né en 1857, près de Zurich, Eugen Bleuler est décédé, tout comme Freud, en 1939. Cette correspondance peut être entendue comme l’écho anticipé d’une scission entre la psychiatrie française actuelle et la psychanalyse. Dès 1905, Bleuler écrit à Freud : « Merci beaucoup pour l’analyse de l’hystérie. Nous tous ici l’avons avidement dévorée, c’est un travail tout à fait génial. Mais les difficultés ne manqueront pas pour convaincre les autres de la justesse de vos idées. (…) La psychanalyse n’est ni une science ni un artisanat; on ne peut pas l’enseigner, au sens habituel du terme. (…) C’est pourquoi, à court terme, vous subirez le destin de devoir en découdre avec les artisans de la psychologie et de la médecine. » Sont ainsi abordées les questions du rêve, de la théorie sexuelle, de la résistance à la psychanalyse, les découvertes de Freud dans le champ de la psychiatrie, la place de Bleuler dans le mouvement psychanalytique… Dans le dialogue épistolaire entre le psychanalyste viennois et le psychiatre zurichois, on voit que les deux hommes partent de deux expériences différentes. L’un se réfère au matériau issu des analyses de patients névrotiques; l’autre aux recherches, expériences et résultats rassemblées régulièrement dans sa clinique psychiatrique. En décembre 1909, Bleuler, directeur du mythique hôpital Burghölzli, écrit à Freud : « Grand merci pour votre Vie quotidienne et les pensées sur les névroses obsessionnelles. Avec ces dernières, m’y retrouver est un gros travail. » En 1910, c’est Freud qui écrit à Bleuler : « Cela ne m’avance pas beaucoup de savoir que vous me donnez raison de mon point de vue mais que vous avez toujours raison du vôtre, sans que nos deux points de vue ne se rapprochent l’un de l’autre. Je ne crois pas non plus que la différence de nos positions personnelles sur la cause de la psychanalyse puisse nous séparer affectivement. » A l’arrière-plan de ces lettres, on trouvera à la fin du volume une étude sur la psychologie des psychoses et des extraits du « journal » de Bleuler. Annik Bianchini Depeint |