Danièle Epstein – Les enfants naufragés du néo libéralisme

Préface de Roland Gori
Éditions érès, 2021, 140p.

Après un premier livre sur les dérives adolescentes, Danièle Epstein, avec ce nouvel ouvrage, creuse ce qu’il en est des effets du politique sur les subjectivités. L’auteure cherche à expliquer ce en quoi le système néolibéral se trouve dans la nécessité de fabriquer un homme nouveau pour satisfaire à l’économie de marché. Le système nous poussant à consommer sans penser.

Mais que vient faire ici la psychanalyse ? Dans sa préface, Roland Gori explique : « C’est ici, face à l’absence de penser, que le psychanalyste est convoqué en compagnie du sociologue et de l’historien (…) Comment un sujet peut-il renoncer à être, se résigner à abandonner sa capacité de penser au nom d’un rationalisme morbide, délirant et destructeur ? »

Cet essai est une traversée de l’air du temps, un état des lieux néolibéral, qui dénonce un désordre profond. « L’expérience clinique de Danièle Epstein (…) nous enseigne au sein de notre culture, de la fabrique d’“un homme transparent, sans conflit, sans angoisse, sans culpabilité, un homme sans castration, transparent et dépendant d’objets addictifs, qui viendront peupler le vide de sa pensée ”», indique Roland Gori.

Danièle Epstein est psychologue clinicienne et psychanalyste, membre du Cercle freudien et d’Espace analytique. Elle a travaillé de nombreuses années à la Protection Judiciaire de la Jeunesse à Paris sur demande des juges pour enfants et des juges d’instruction. Elle est l’auteure d’articles dont « Lettre ouverte aux politiques et à ceux qui les relaient, une clinique dans le cadre judiciaire : un enjeu vital », et d’ouvrages dont « Dérives adolescentes, de la délinquance au djihadisme » (Érès, 2017)Il est question, dans ce livre, de ceux qui sont les plus exposés aux effets de l’économie marchande, les plus vulnérables des enfants, les plus fragilisés à affronter les difficultés. La pandémie Covid 19 a relancé une question centrale : « Quel monde voulons-nous pour nos enfants. De crise écologique sanitaire en crise économique, « quel monde léguerons-nous à nos enfants ?», s’interroge Danièle Epstein. « Au rapport d’exclusion entre la jouissance illimitée et la finitude de la vie répond le rapport d’exclusion entre la croissance illimitée et la finitude des ressources ».

La société est en pleine mutation. Avant, il y avait des repères, des arrimages. Les jeunes pouvaient s’accrocher à des projets de vie. Aujourd’hui, il n’y a plus d’interdits. La violence agit à l’état brut, rappelle l’auteure. Quand un ado dit « j’ai la rage » Qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire qu’il est complètement débordé par une pression quand il ne trouve pas les mots pour dire ce qu’il ressent. L’injure, aussi est quelque chose qui vient du corps. Cela vient cibler l’autre là où il est réduit à l’état de déchet. L’enjeu, selon Danièle Epstein, est de pouvoir travailler ce qui fait pression. De convertir la rage de vivre de ces adolescents en une raison d’espérer. De leur ouvrir la voie de la sublimation  de leurs pulsions. De les considérer comme un maillon de la chaîne du vivant.

La psychanalyse est-elle une antidote à la standardisation ? Les analystes rendent compte de l’état de la société et des souffrances qu’elle entraîne. Crise du sujet, effondrement du symbolique, le symptôme est cette bulle de vérité aux représentations multiples. « La psychanalyse ne changera pas la face du monde prise dans les enjeux civilisationnels de vie et de mort, mais la psychanalyse déplace le réel, tout comme la poussée du réel nous déplace et oriente notre discours, et notre acte. »

Les jeunes sont devenus les produits d’une civilisation qui a perdu ses amarres, rappelle l’auteure. Une société hyper-connectée mais déconnectée de l’écosystème dont nous sommes issus.

« Nous sommes à l’orée d’une révolution anthropologique, un défi à relever qui exige de changer de modèle économique, de changer d’indicateurs économiques (…) de changer de pratiques de consommation et de modes de vie. Arrêter la machine qui fait de l’homme le serviteur de l’économie pour mettre l’économie au service des hommes relève d’un renversement idéologique, civilisationnel, qui passe par une mutation subjective ».

Annik Bianchini-Depeint

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