Comme la quatrième de couverture l’annonce le dernier essai de Daniel Sibony est à la fois très original, dans la saisie des détails de la sexualité, et en résonance avec les questions de notre époque, en particulier sur le « genre » mais avec tact et mesure.
Il met le désir féminin au centre de toute l’élaboration, reprenant un thème que j’avais proposé dans un séminaire à Bruxelles : peut-on écrire « le fantasme au féminin » par delà la mise en place freudienne et les formules de Lacan ?
Soulignons immédiatement que le dernier chapitre « La Bible patriarcale? » mériterait une publicité particulière : Daniel Sibony, par une lecture érudite, nous rappelle que la Genèse organise une dépendance mutuelle rigoureuse entre homme et femme, que le texte Biblique envisage même à l’occasion deux Lois, que les noms des 12 tribus furent donnés par des femmes, que l’égalité symbolique y est la règle.
Le début de l’ouvrage est consacré à la sexualité sous une forme descriptive devenue très rare dans le champ de la psychanalyse. Il n’y a plus depuis longtemps de colloques traitant des symptômes sexuels comme les pionniers le faisaient et bien des patients et patientes trouvent naturel de filer chez le « sexologue ».
Ainsi un beau passage sur Le baiser : « Le baiser a un mystère, un mystère qui en fait un geste majeur de l’amour, où les langues se cherchent loin pour se gorger du tissu de l’autre ou s’e-gorger » en douceur « … »
Daniel Sibony ne craint pas de désacraliser certains axiomes freudien et lacanien : Il y’a du rapport sexuel, propose t’il, le mythe de la horde primitive est relativisé, l’entre deux parental remplace l’ubiquitaire fonction phallique… bien des « clichés psy » sont ainsi revisités.
Le cœur du livre fait la part belle à la femme et à sa façon « d’approvisionner » le désir !
Cette proposition forte vient résonner bien entendu avec les luttes émancipatrices des femmes et leur actualité.
En ouverture du formidable festival des Étonnants Voyageurs nous avons entendu tout dernièrement l’autrice polonaise Olga Tokarczuk, prix Nobel de Littérature : « Je ne sais pas exactement comment les femmes devraient raconter le monde autrement.
Et si une approche supposée féminine n’est pas elle aussi façonnée par le monde masculin …
Mais oui je cherche une tonalité féminine… ce qui est certain c’est que je travaille à travers l’écriture à sortir du « monde des pères ».
Nous partageons ce vœu que Daniel Sibony inscrit dans un renouveau de la doctrine psychanalytique.
Soulignons combien sont traitées avec délicatesse les questions touchant aux identités sexuées, aux homosexualités et au « phénomène trans ».
Nous sommes régulièrement consterné de voir la violence des débats sur ce dernier thème.
Daniel Sibony propose avec déontologie et modestie sa position de thérapeute : « Or pour un soignant être « anti-trans » n’a pas de sens puisque le besoin, la demande ou le désir de changer de sexe ou de genre réfère à des souffrances réelles .Etre mal dans son corps peut être une manière d’exprimer une souffrance identitaire, un manque d’appui dans les liens existants … Mais ce fait certains ont du mal à l’intégrer et la dramatisation qui a lieu de part et d’autre révèle et engendre beaucoup de confusion ».
Ne pas laisser à la seule médecine ou à la seule chirurgie tout ce versant « dysphorique » est un rappel salutaire.
Nous laissons de côté le passage sur le Wokisme qui mériterait une « dispute » éclairée par l’Histoire, pour mettre en valeur la fin de l’essai réhabilitant le signifiant « Amour » : Revenir à l’amour qui n’est pas qu’exaltation narcissique : « Dans l’entre deux sexuel, corps et mémoire se croisent sous le signe de l’amour, ils se croisent dans chacun en entre les deux : les mots de l’un font tressaillir le corps de l’autre ce qui inspire encore des mots, des émotions, des pensées.
Parfois, dans la mêlée, un « je t’aime s’envole, advienne que pourra… ».
Comme nous l’avons dit d’emblée le chapitre conclusif est à lire et relire, Chair de ma chair.
Nous avons eu le plaisir de partager une première présentation de l’ouvrage par l’auteur dans la fidèle librairie Tschann à Paris ; gageons que le lectorat sera au rendez vous et au delà du cercle des analystes.
Jean-Jacques Tyszler
Psychiatre et psychanalyste, médecin directeur du CMPP de la Mgen à Paris, membre de la Société de psychanalyse freudienne, de l’école psychanalytique de Sainte-Anne et de la Fondation européenne pour la psychanalyse. Auteur de nombreux articles parus dans diverses revues, en particulier celles de l’Ali et de l’école psychanalytique de Sainte-Anne. Ouvrages : À la rencontre de Sigmund Freud, Oxus, 2013 ; Actualité du fantasme dans la psychanalyse, Stilus, 2019.