Le moins que l’on puisse dire de ce livre de Jean Allouch est que sa parution posthume est bienvenue. La Leçon d’Artaud devait être son dernier ouvrage. Et voilà qu’il a laissé un inédit fort heureusement recueilli par les soins d’Isabelle Chatelet et de Danielle Arnoux. Vitalité du neutre, neutralité du vital. Sur la folie et son autre tour apporte un complément indispensable à ses dernières avancées. Qu’y découvre-t-on ? Un affinement bien plutôt de ses dernières élaborations où Freud et Lacan sont revisités à leur lumière. Des exemples ? Voilà le Je bien mis à mal qui laisse la place à un on délesté de sa référence à la personne: «le on, y lit-on, lui, se dispense de la personne, fût-elle “troisième” ». D’ailleurs, ne récuse-t-il pas avec le neutre toute opposition telle que c’est le cas entre le vrai et le faux self ? De nouveaux termes apparaissent : « vitalité » par exemple arrive à point nommé pour rappeler que décidément, contre La Mettrie et Descartes, l’homme n’est pas réductible à une machine. Puisque le vivant n’est pas machinique. Et voici que sont épinglées au passage les dénominations hélas usitées de « psychiatre-psychanalyste » ou de « psychologue-psychanalyste », où se repère un redoublement du « psy » qui augure mal d’une possible psychanalyse là où le psychisme prend une telle place. Peut-on mélanger l’huile et l’eau ? C’est ce que soutient la psychopathologie engoncée dans le terme de « structure », qu’elle soit hystérique, obsessionnelle ou autre. N’offre-t-elle pas au « psy » la possibilité de jouer au maître ? Tout comme il le fait si souvent en décidant de la fin d’une séance ? De l’interprétation, il est dit l’importance du kaïros, du moment opportun pour la faire, du tact de l’analyste, de son silence qui ouvre à l’analysant la liberté de trouver par lui-même l’association à venir. Le tact introduit au principe de délicatesse. La délicatesse, dénommée par Barthes« désir du Neutre », ouvre à la vitalité, une vitalité qualifiée de « désespérée » selon les termes de Pasolini. Tel Barthes, endeuillé par la mort de sa mère, quand il donne néanmoins son Cours sur le Neutre. La perte de cet être si cher lui aurait fourni la vitalité nécessaire pour élaborer ce Cours, quand bien même celle-ci serait marquée au sceau du désespoir.
La lecture de ce livre terminée, on découvrira l’importance de son sous-titre que l’on aurait eu tort de laisser inaperçu. Car c’est bien à un tout autre tour de la folie qu’il nous a conviés en nous faisant découvrir l’étrange et insistante familiarité que nous entretenons avec elle.

George-Henri Melenotte Psychanalyste à Strasbourg. Il a précédemment publié Substances de l’imaginaire (Epel, 2004); Freud incognito (Epel, 2017) et L’effet Ménines. Foucault, Lacan, Picasso, Leroy, (Epel 2024).