Au commencement l’apocalypse, et à la fin le chaos. L’apocalypse c’est la dissolution, la fin de l’Ecole Freudienne de Paris et la mort de Lacan dans la contradiction entre la réussite d’une œuvre et les ratés d’un héritage. Le chaos, quarante années plus tard, c’est le monde actuel, plein de guerres et de haine, que des psychanalystes tièdes ou devenus eux-mêmes fondamentalistes à leur manière, ne peuvent plus comprendre. 1980-2024 : pour circuler dans ce dédale il faut un fil solide, Francis Hofstein l’a tressé de trois brins : fini, infini, finition. Le fil disparaît et réapparaît quand on n’y pensait plus. Il faut reconnaître que la méthode est efficace. La fin de Lacan a séparé les fins qu’il recherchait pour son écolede l’infini sur lequel ouvre son frayage. La passe, quant à elle, après la fin de l’analyse thérapeutique, apporte l’infini d’une « finition » -ou de « finitions » au pluriel. Le dispositif de Lacan, quoiqu’il soulève un certain nombre de problèmes, se raccorde ainsi à la position de Freud en 1937 sur la « tâche infinie » que devrait devenir l’analyse des analystes. Cette inscription de l’infini dans le fini, ou de l’interminé, de l’inachevé, Francis Hofstein estime qu’il permet de contrer le fantasme d’une belle fin, l’absolu de l’idéal, l’écueil de l’identification. Position de principe qui ne tombe pas du ciel, mais provient manifestement de l’expérience. « Je ne comprends pas ce que vous me dites », prononcetel patient : il en dit là « autant sur son entendement que sur ses résistances », « il commence à savoir qu’il ne veut pas savoir. » Il y a maintenant pour lui, probablement, de l’Autre pour de bon, sans confusion possible avec quelque autre que ce soit, autrement dit un « manque dont la morsure se confond au désir ». En sens inverse, tel autre patient s’enfoncera dans l’analyse au point de s’y perdre : les séances s’étendront dans un « sans fin sans infini … ».L’expérience clinique s’apparente ici à l’expérience musicale (on connaît les liens de l’auteur avec le jazz) : sur le fond collectif d’une polyphonie, une échappée individuelle qui ne dépend d’aucun critère scientifique ou objectifet ne se juge au bout du compte qu’à l’oreille. Analyse, musique : même évidence insaisissable. Avec les mêmes instruments dont il se sert pour parler de la psychanalyse, Francis Hofstein pose encore des questions concernant l’actualité : l’inconscient est-il genré ? Ou bien : pourquoi Freud était-il si réservé quant à l’établissement d’un Etat juif en Palestine ? Que penser du christianisme et de l’islam dans leur rapport avec cette sorte de « reliquat infini » que représentent les juifs en tant que prédécesseurs ? Peut-on en finir avec l’origine ? La question politique est ici liée au mauvais infini de la jouissance qui abolit toute limite. Les chapitres écrits entre octobre et novembre 2023 abordent calmement des questions qui fâchent -de terribles questions- mais qu’il vaut mieux articuler que taire. Avec De l’infini en analyse (et les Façons d’être publiées parallèlement) nous lisons sans doute le livre le plus intéressant, le mieux infusé de Francis Hofstein. Sur la brèche, grognard hussard, il montre par l’exemple ce qui de la psychanalyse peut nous servir à garder nos distances avec l’inadmissible, et approcher une « fraternité sans affrèrement ».
Nils Gascuel
PS MJ Sala me signale la Lettre de Freud à Chaïm Koffler du 26 février 1930 in Cliniques méditerranéennes, 70, 2004, c’est ce que cite Rey-Flaud p.78 de L’infini peut-être