Lire Gisèle Chaboudez, c’est avant tout rencontrer une analyste, témoignant dans son écriture de la place parfois inconfortable des « secrétaires de l’inconscient ». Car ils essayent de prêter l’oreille, d’inscrire scrupuleusement la forme du contenu manifeste sans laisser s’y réduire le texte de l’analyse. Gisèle Chaboudez assume pleinement cet embarras. C’est d’ailleurs ce qui lui permet d’éviter la polémique que ces questions « identitaires » réveillent aisément. Elle l’assume en affirmant l’importance à la fois clinique et théorique des Logiques inconscientes.
Et ce sont ces logiques inconscientes qui forment l’axe du questionnement à l’œuvre dans Féminismes et féminités, un essai ouvrant sur des perspectives de nouvelles réflexions quant à la position de la psychanalyse lacanienne concernant l’universel et le Tout au regard de l’unaire et du pas Tout. Ces problèmes sont mis ici au travail par la perspective qui promeut des féminités voire un mode de féminisme, pour faire entendre, à côté des principales théories féministes, une praxis psychanalytique à propos des femmes. La phrase énigmatique de Lacan : « La Femme n’existe pas », n’est énigmatique qu’en apparence, puisque cela revient à dire que les femmes ne se « prêtent pas à la généralisation » (J. Lacan, 1975), « la généralisation phallocentrique », découlant du projet universaliste des Lumières, tout en soulignant qu’il s’agit d’une logique dont le choix est en partie indépendant du sexe.
En somme, ce livre évite bon nombre des pièges qu’un sujet aussi bouillonnant dresse sur la route de qui voudrait s’en saisir. Au moment où il pourrait basculer dans un écrit académique lacanien, Gisèle Chaboudez nous emmène un peu plus loin, avec des propositions qui prolongent les fondations d’une théorie psychanalytique du féminin, celui qui se prête au Tout phallique et celui qui y objecte.
Ce livre s’inscrit dans une continuité avec les précédents, poussant des questions sur la littéralité de l’inconscient, interprétée en certains points en termes de mythes lacaniens, prenant à revers les ambitions du Tout phallique, désarmant ses prétentions à accumuler, à vouloir plus, montrant la capacité d’une logique nouvelle à déployer hors discours une incidence déterminante.
Louis Raffinot
Psychanalyste