Henriette Michaud | Freud à Bloomsbury

Editions Fayard, 2022

Déjà le titre du livre chante. Le livre, lui, enchante. Il nous transporte dans le monde magique d’un groupe d’intellectuels et d’artistes réunis autour de Virginia et de Léonard Woolf et de sa célèbre presse qui servira plus tard à éditer les œuvres de Freud en anglais. (La Hogarth Press)

Si le nom de James Strachey est connu, celui d’Alix, cette jeune femme à l’allure garçonne, l’est moins, mais le livre d’Henriette Michaud le fait sortir de l’ombre, mettant en valeur les qualités de traductrice d’Alix ainsi que son soutien infaillible à celui qui deviendra son mari, James, ainsi qu’à la psychanalyse.

Comment résumer cet incessant aller et retour entre Vienne, Londres et Berlin où Alix a choisi Karl Abraham pour une deuxième tranche d’analyse ? Lors de sa première cure, faite en même temps que celle de son mari, et qui dura 15 mois, l’auteur révèle qu’Alix se sentit parfois utilisée comme cobaye par Freud : Le souci de confirmer la justesse des théories récemment découvertes prenait parfois le pas sur l’écoute analytique. Mais Freud était en train d’élaborer sa grande œuvre et nous en étions aux balbutiements de la psychanalyse.

Ils sont tous là, réunis dans ce livre, les grands ténors des débuts de la psychanalyse, nous faisant revivre une aventure sans égale. Lorsqu’il accepte de prendre James et Alix Strachey sur son divan, Freud est à la recherche de traducteurs susceptibles de l’aider à passer le Channel, afin que soit accueillie son œuvre. Il y a bien Ernest Jones, mais il  est trop lent… Alix et James seront passeurs de Freud, ménageant avec beaucoup de doigté la place de Jones en Angleterre mais aussi auprès de Freud.

Si James est revenu s’installer comme analyste à Bloomsbury, Alix a une compagne de divan à Berlin: Mélanie Klein. Celle-ci lui permet d’accéder à un paysage encore méconnu : celui de la Frühanalyse, celui de l’analyse des fantasmes des tout- petits. Dans les multiples lettres qu’Alix envoie à son mari, elle conte avec subtilité ce qu’elle entrevoit comme différences théoriques entre Mélanie Klein et Anna Freud. Elle sait que Freud a le souci de protéger sa fille, mais elle milite, au fond d’elle-même, pour une vraie pratique analytique.

Le premier patient de James s’appelle… Winnicott. Celui-ci rendra un vibrant hommage à son analyste, devenu son collègue et ami en écrivant : Ce que Strachey a rapporté de Vienne et de son analyse chez Freud est précieux : « Pendant le temps de l’analyse, un processus se développe, et ce qui en transpire, ne peut pas être saisi comme un objet, mais on peut s’en servir ultérieurement. » Cette phrase si juste, en rappelle peut être une autre, prononcée par un autre analyste, mais l’auteur ne l’évoque pas. Elle ne veut pas tout mélanger et elle a bien raison.

Son objectif grâce à ce fabuleux travail de recherche est de montrer ce lien ténu mais indestructible entre Freud germanophone et la langue anglaise, j’ai envie de dire l’amour de l’anglais, manifesté au tout début par le biais de sa lecture de Shakespeare. [1]

Exporter une œuvre aussi immense que celle de Freud outre atlantique ne s’est pas fait en quelques jours. La Standart Edition, qui a nécessité plus de vingt années de travail, avait besoin de gens sérieux et compétents.

Henriette Michaud rend hommage au travail des traducteurs, en leur dédiant ce livre, et elle insiste sur la minutie du travail du directeur Editorial, James Strachey « Chaque concept, chaque avancée théorique de Freud est cartographiée, remontant vers sa source et rayonnant en étoile vers les développements ultérieurs. »

Ce livre, qui évite le piège des phrases alambiquées  et a mis de côté les références théoriques qui plombent parfois la lecture, est un pur bonheur.

Il suffit de s’installer dans un bon fauteuil et de se laisser emporter dans ce monde fantastique qui a bercé notre jeunesse lorsque nous étudiions l’œuvre de nos ainés.

Mais le monde de Bloomsbury restait pour nous inconnu. C’est donc une belle découverte.

Françoise Decant

Publications : « L’écriture chez Henrik Ibsen » : Un savant nouage. Essai psychanalytique Ed Arcanes Eres, 2007. Parution dans le prochain numéro de La Clinique Lacanienne (N°22) « Un nom du père parmi les noms du père: trois inventions ».


[1] Henriette Michaud, Les Revenants de la mémoire. Freud et Shakespeare. Paris, Puf, 2011

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.