Houchang Guilyardi (Sous la direction de)
Psychanalyse et médecine, entre corps et langage.

érès éditions, 2022

Article rédigé par : Marc Nacht

Ne demande jamais ton chemin à quelqu’un qui le connaît, car tu ne pourrais pas t’égarer !

Rabbi Nahman de Bratslaw

Honneur ou bonheur ou les deux, c’est ce que j’éprouve. Mon salut à Houchang Guilyardi, le dompteur invétéré de la Sorcière, le Prince de Soma Ose évoqué par Madeleine Gueydan à la fin ce ce livre.

Cette invitation me fait revenir de loin. Du siècle dernier. Houchang Guilyardi était parvenu à instaurer un groupe de réflexion abrité par l’unité de stomatologie et son charmant directeur le professeur Francis Guilbert, fumeur invétéré. Fin de siècle et début d’une recherche dont cet ouvrage collectif nous livre les savantes et souvent surprenantes avancées. Xerxès n’aurait sans doute pas manqué de saluer votre travail, lui qui constatait, comme le rapporte Hérodote que : Le cœur de l’homme habite dans ses oreilles ; s’il entend de nobles paroles, il comble de joie le corps tout entier, s’il entend le contraire, la colère l’envahit.[1]

Oserais-je me promener à l’ombre des jeunes traces en fleurs de la recherche des signifiants perdus sans vous irriter d’une mienne cécité refoulante qui, comme le rappelle Danièle Lévy, aurait pour origine l’angoisse. Et Jorge Luis Borgès de scander à sa manière : Ce n’est pas l’amour qui nous unit, mais l’effroi. C’est pour cela sans doute que je l’aime tant.

Il n’y a pas de signifiants sans inscriptions corporelle dans laquelle il faut inscrire l’inconscient des parents, ce rappel par Geneviève Vialet-Bine ouvre la problématique très actuelle du déni de l’histoire[2] et même de la sexuation. Le wokimen’est pas hystérique et l’on peut s’interroger sur les inscriptions corporelles dont il se prévaut au titre de différenciation. La somatose serait alors le lest ou, je cite : le corps prend le relais de ce qui ne peut advenir à la représentation et c’est lui qui se fracture.

Il s’agit bien du ratage de l’effacement d’une trace, telle celle que dialectise et décrit Madeleine Gueydan, de la trace au langage l’objet (a) dans le dessin, celle qui donne à voir une chose qui est définitivement révolue au moment de sa lecture. L’essence de la trace, c’est d’avoir été, c’est l’absence. Et voici que pour moi surgit l’ombre de Thomas l’obscur, ce roman de Maurice Blanchot qui plonge dans le  vide de l’existant. Tu n’as pas compris que j’étais dans le désert me disait une proche. Court-circuit des mémoires, de ce désert dont j’ai été proche en Algérie et qui me faisait écrire à mon père: le vide est une chose qui ne se laisse pas décrire honnêtement— ou de très gros livres. J’avais piqué ça où? Pas dans une opération de recherche d’accrochage avec le commando Georges tout de même!

Mais quelle ex-sistence aujourd’hui, quelles traces englouties de ce livre qui fit scandale, Tombeau pour cinq cent mille soldats, hurlé par Pierre Guyotat ?

De quoi déchirer le tissu de Marielle David, je la cite, de la nécessité absolue de faire rejoindre le réel au symbolique.

Que la maladie soit une voie d’accès à l’inconscient et que ce dernier puisse se déplier, se fracturer en brisures imaginantes et féroces pour le corps et la raison, voilà ce que dépliait Houchang Guilyardi dans son dialogue tout en creux et en bosses avec Violette. Une Violette qui portait comme le remarque Josette Olier des bas résilles. Et qui se souvient des bas résilles portés par Marthe Robert qui fut historienne de la psychanalyse, traductrice et critique de Kafka. Probablement rien d’inconscient de sa part à faire valoir les résilles du pulsionnel au bord de l’énonciation, fut-elle savante. Souvenir d’adolescent, stupéfait autant que sollicité.

La doublure imaginaire du symbolique  nous joue de drôles de tours, ceux projetés par les ombres toutes platoniciennes  du Réel.

Contrevenant au conseil de Circé, Ulysse se ligote au mat de son esquif pour échapper à l’appel des sirènes, son corps portera la marque descordes le sauvant des chants mortels.

De cette mort qui est l’enjeu plus ou moins accentué de l’héautoscopie dont Alain Vanier décrit les multiples facettes, je fis l’expérience une nuit. Je me suis vu allongé sur le dos, cadavérique, et mon propre corps s’élevant au dessus de ce cadavre, comme issu de lui, puis se tournant face à ce dernier. J’étais témoin de cette scène où sans effroi je me vis mort.

Mais se voir mort n’est pas l’être, tant s’en faut. Et c’est ce combat pour la re-vie que conduit Hélène C. Prie st en réanimation. Toute l’importance d’une parole autre que celle du constat médical pour maintenir le lien muet avec la vie.

A mon souvenir, Diane Chauvelot, comme elle le décrit dans son livre, entendait tout ce que les médecins disaient d’elle lorsqu’elle gisait, suite à un accident, dans un coma profond. Et plus étonnant encore, elle s’échappait de cette prison médicale en longeant les gouttières et en planantau dessus du toit de l’hôpital. Et c’est là, au terme de ces échappées, qu’elle s’est retrouvée consciente, vivante et libre.

Oui, Diane, nous allions dans un bistrot au sortir du séminaire de Clavreul à L’EFP. C’est là que tu m’a appris comment tu avais contenue une hémorragie mortelle en comprimant l’artère fémorale du blessé au niveau du triangle de Scarpa. Ça m’est resté comme pas mal d’autres choses.

Vous avez peut-être remarqué qu’en manière de critique de ce brillant colloque, je mettais en avant mes petites aventures personnelles. Ego, ego me direz-vous non sans raison. Je me défendrais en évoquant mon impossibilité de rendre compte de chaque contribution si valable et intéressante soit-elle. Qu’il s’agisse, entre autres du travail de Jean-Pierre Lebrun sur le transgenre, de celui de Jean-Pierre Winter dont la critique se nourrit de son long parcours de malade à l’AP-HP pour affirmer la laïcité fondamentale de la psychanalyse; et de tous ceux et celles qui se sont montrées intangibles sur le respect du sujet fut-il évanescent face aux dictats de la « science ». Qui, bien entendu, si elle se montre sans conscience et toute comportementale n’est que ruine de l’âme[3].

Je me suis donc laissé égaré et vous en remercie.

Marc Nacht, psychanalyste. Ancien membre de l’Ecole Freudienne de Paris. Membre de l’Association Lacanienne Internationale. Ex rédacteur en chef de la revue La Célibataire (Clinique, logique, politique). A notamment publié : A l’aise dans la barbarie, essai sur le traumatisme et la pulsion de mort (Grasset 1994) ; L’inconscient et le politique (Erès 2004) ; Batailles, récit (Grasset) ; Le Vieux Joseph (Grasset), La Traversée de L’Alkar (Stock) ; Le Serpent (Penta Editions).


[1] -Hérodote, L’enquête, livre VII, Folio, p. 197.

[2]« Il y a des lieux de mémoire parce qu’ii n’y a plus de mémoire » constatait Pierre Nora à France Culture suite à la dissolution de la revue Le Débat qu’il avait fondé en 1960 chez Gallimard, puis confié la rédaction à Marcel Gauchet.

[3] – Déjà en 1968, dans le premier numéro de Scilicet, Lacan augurait: « Abrégeons à dire que ce que nous avons vu émerger, pour notre horreur, représente la réaction de précurseurs par rapport à ce qui ira en se développant comme conséquence du remaniement des groupements sociaux par la science, et nommément  de l’universalisation  qu’elle y introduit. »

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