C’est un petit livre fort intéressant qui repart des fondements de l’écoute psychanalytique. Le concept principal « le recours à la parole » dialectise comme les prémisses d’une cure, et adossé à des exemples cliniques et littéraires, convainc tout à fait le lecteur des difficultés que peut avoir un sujet à utiliser ce « recours à la parole ». Et sans se perdre dans des propos trop sociologiques propose ce concept pour comprendre certaines des manifestations contemporaines de notre vie politique, et notamment « les gilets jaunes » !
Il décrit ainsi le malaise, le désespoir, et les quasi-symptômes des sujets qui se trouvent empêchés de parler. Parce qu’il détaille ensuite les causes de cet empêchement : Il est attendu de la parole une certaine rigueur, faite de la vérité des propos des autres tutélaires, que ce soit les politiques qui nous gouvernent dans le cas des adultes, ou les parents, dans le cas des enfants ! Faire ce qu’on dit, et dire ce qu’on fait ! Il montre comment, par exemple des parents dit « séparés », qui ne vivent plus ensemble, mais continuent sans fin le lien passionné qui les unit, peuvent rendre impossible pour les enfants, un « recours à la parole », un recours à la parole qui dirait leur vérité, et comment du coup est empêchée la construction d’un désir, voire d’un fantasme qui leur permettrait de trouver un apaisement. Ainsi le fameux TDAH, du DSMV, hyperactivité des enfants avec difficulté de concentration, dont les écoles nous rabattent les oreilles, est expliqué par ce malaise entretenu par nos sociétés autour de ce « recours à la parole » et c’est convainquant !
Le psychanalyste y apprend à être sensible, voire préoccupé de ce premier pas dans l’accueil des souffrances des sujets contemporains. Ce n’est pas qu’ils ne parlent pas, c’est que la parole n’a pas de poids, ou « pas le poids » qu’il faudrait pour élaborer ce qui leur arrive. Ainsi le psychanalyste doit redonner ce poids, et l’auteur invite même le psychanalyste d’y aller de sa vérité dans la parole, dans ce premier temps, pour que l’écoute de l’inconscient puisse jouer son rôle à plein, avant que le silence puisse être d’un recours quelconque.
Et cette précision m’a paru précieuse, comme une mise en garde nécessaire, dans les réinventions continuelles de la psychanalyse auxquelles nous convient Jacques Lacan comme Sigmund Freud. Combien de fois ai-je eu le sentiment que la seule chose que j’avais faite dans certaines « cures » d’adolescents était « d’avoir été là ! Pas d’interprétation, même pas de ponctuations extraordinaires, non, juste là à me souvenir de ce qui avait été dit !
Jeanne Lafont, psychanalyste, psychothérapeute.
Mes livres : Chez Point hors ligne, Topologie ordinaire de Jacques Lacan, 1986; Topologie lacanienne et clinique analytique, 1990. Les pratiques sociales en dette de la psychanalyse, 1994. Chez EFEdition. Les dessins des enfants qui commencent à parler, 2001; Six pratiques sociales, (livre collectif), 2006; La langue comme espace, 2015