L’Invité : mardi 9 mai 2006

Ignacio GARATE MARTINEZ pour son livre "L’experience d’une psychanalyse" Généalogies du desir à l’oeuvre Editions érès Présenté de Charles Sarfati

 

 

 

 

 

 

Ce livre présente et décrit l’histoire du parcours d’un homme, d’un auteur, d’un psychanalyste. Au niveau de l’écriture les ratures sont prises en compte, « conservées », et pas effacées, niées, oubliées. Depuis 1982, Ignacio Garate exerce comme psychanalyste à Bordeaux. Membre d’Espace Analytique depuis sa création, son rapport à la psychanalyse se construit à partir de l’héritage de Maud et Octave Mannoni, mais aussi de F. Tosquelles, M. de Certeau, X. Audouard, J. Dor et quelques autres. Il est le fondateur d’Espace Analytique d’Aquitaine et du Sud – Ouest et directeur de collection chez Erès et à Encre Marine. Notre invité de ce soir n’est pas seulement un psychanalyste qui écrit un livre sur son métier de psychanalyste mais un écrivain psychanalyste. Si Œdipe le Salon a toujours eu une attention centrée sur la question « de l’écriture et de la lecture de la psychanalyse », il ne sera pas exagéré de penser que ce livre s’inscrit dans ce qui constitue l’ombilic du désir d’Œdipe le Salon. Dans ce livre aux qualités poétiques indéniables, à la fois simple et savant, où la plume est joyeuse, drôle ou émouvante, de quoi est-il question ? De fonder son style propre en psychanalyse, ce qui est, selon nous, une solution au problème de la transmission de la clinique. Cet écrit conjoint à la fois transfert et souvenir d’enfance, souvenirs d’enfance de l’analyste pendant le travail de l’écoute et une théorisation de l’après-coup, tout en maintenant l’écart entre transfert Imaginaire, Symbolique et Réel. L’auteur dialogue avec tous ceux qui l’ont marqué (un parent, une camarade, un enseignant, une femme, un contrôleur ou un patient). Les mots sont des bouteilles jetées à la mer. L’inconscient est désir non réalisé et ce « rien » insistant veut se réaliser si on veut bien lui en laisser la possibilité et la clinique du transfert est au cœur de cela. Les références bibliques sont l’occasion de réflexions renouvelées sur notre clinique. La parabole du fils prodigue, par exemple ( Luc,15,11), est une mine d’or concernant la juste position d’un père à l’égard de ses enfants ; non pas d’un père défaillant, mais d’un père qui assume sa position. Ignacio Garate en fait une lecture très intéressante pour nous, analystes. Allons au texte. Evangile de Luc : Il dit encore : “ Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : “ Père, donne-moi la part de fortune qui me revient. ” Et le père leur partagea son bien.

(Elle lui fait une belle jambe, nous dit Ignatio GARATE, cette subsistance tout-à-coup réunie, mais pour en faire quoi ? Imaginons le fils saisi de quantité, gavé de toute la part de sa vie d’un seul coup, comme s’il pouvait, en une seconde, jouir de tout cela).
Peu de jours après, rassemblant tout son avoir, le plus jeune fils partit pour un pays lointain et y dissipa son bien en vivant dans l’inconduite.
(Il prend le tout, et se perd et dissipe).
Quand il eut tout dépensé, une famine sévère survient en cette contrée et il commença à sentir la privation.
Il alla se mettre au service d’un des habitants de cette contrée, qui l’envoya dans ses champs garder les cochons. Il aurait bien voulu se remplir le ventre des caroubes que mangeaient les cochons, mais personne ne lui en donnait.

Rentrant alors en lui-même, il se dit : “ Combien de mercenaires de mon père ont du pain en surabondance, et moi je suis ici à périr de faim ! Je veux partir, aller vers mon père et lui dire : “ Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi ; je ne mérite plus d’être appelé ton fils, traite-moi comme l’un de tes mercenaires ”. Il partit donc et s’en alla vers son père.
Tandis qu’il était encore loin, son père l’aperçut et fut remué dans ses entrailles ; il courut se jeter à son cou et l’embrassa tendrement. Le fils alors lui dit : “ Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi, je ne mérite plus d’être appelé ton fils ”. Mais le père dit à ses serviteurs : “ Vite apportez la plus belle robe et l’en revêtez, mettez-lui un anneau au doigt et des chaussures aux pieds. Amenez le veau gras, tuez-le, mangeons et festoyons, car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ! ”. Et ils se mirent à festoyer.

(Le fils le plus jeune a trouvé sa place, sa demande a été entendue là où elle le pouvait)
Son fils aîné était aux champs. Quand, à son retour, il fut près de la maison, il entendit la musique et des danses. Appelant un des serviteurs, il s’enquérait de ce que cela pouvait bien être. Celui-ci lui dit : “ C’est ton frère qui est arrivé, et ton père a tué le veau gras, parce qu’il l’a recouvré en bonne santé ”.
(Chacun va être renvoyé à sa place et le père qui parle n’est plus celui dont les entrailles représentent la féminité d’une mère absente du récit, mais le père de la transmission).
Il se mit alors en colère et il refusait d’entrer. Son père sortit l’en prier. Mais il répondit à son père : “ Voici tant d’années que je te sers, sans avoir jamais transgressé un seul de tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau, à moi, pour festoyer avec mes amis ; et puis ton fils que voilà revient-il, après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tu fais tuer pour lui le veau gras ! ”
Mais le père lui dit : “ Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi. Mais il fallait bien festoyer et se réjouir, puisque ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ! ”. (Luc 15, 11-31)
Face à un fils au comble du dénuement et à la recherche de l’amour de son père, celui-ci laisse vibrer la femme en lui, ses entrailles, cette part qui entend le fils revenant. Mais à son fils aîné, à ce père en devenir, il laisse vibrer une autre part de lui-même, sa place de père quand il lui dit : vois ton frère et fait en sorte qu’il reste debout. La place d’un père est de ne pas laisser monter la jalousie entre ses enfants. Un père a à instaurer la fraternité à partir de la différence radicale.

A. Chouraqui dans sa traduction donne un titre à l’endroit du texte (Genèse 22) où il est question de ce sacrifice qui n’aura pas lieu : « Isaac aux liens ». Passage généralement traduit par « le sacrifice d’Isaac ». On sait qu’à l’âge de treize ans Isaac a été ligoté par son père Abraham en vue de ce sacrifice demandé par dieu. Il a même porté les fagots de bois qui devaient le consumer et après avoir été lié sur l’autel du sacrifice, il tendait encore son cou avec docilité. La question que je pose est celle-ci : Quel a été l’impact pulsionnel et traumatique, s’il y en a eu un, de cette ligature ? Je fais l’hypothèse que cette scène devenue mythique n’a pas pu rester sans effets sur la personne d’Isaac. Je rappelle le contexte : Abraham et son épouse Sarah enfantent sur le tard Isaac. Celui-là même qui a été ligoté et qui failli être sacrifié à treize ans par son père sans l’intervention de l’ange. Adulte, à quarante ans, il se marie avec Rébecca ; mais elle est stérile ; il intercède auprès de Dieu. Vingt ans plus tard, elle porte deux jumeaux. Le premier à sortir s’appellera Esaü. Il sera suivi par Jacob. Celui-ci intègre et studieux, sera le préféré de sa mère, tandis qu’ Esaü aimera la chasse. Il apportait à son père le produit de ses activités et le lui préparait en ragoût, d’où la préférence que son père avait pour lui. Notons l’importance de l’oralité pour les deux, le père comme le fils. Puis Isaac se fait vieux et perd l’usage des yeux ; il appelle Esaü, lui demande de chasser pour lui et de lui préparer des mets. « Fais-moi des mets comme j’aimais. Je mangerai pour que mon être te bénisse, avant que je ne meure. » (Genèse 27, 4) Que penser de ce père qui demande à se laisser nourrir par son fils en vue de clore une vie par une dernière jouissance ? De quelle nature est le lien unissant ce père à son fils ? Quel désir lie ce père à son fils ? Cette virilité devait plaire à ce père inhibé. Il devait trouver en ce fils un idéal qu’il n’avait pas approché ; sans négliger aussi quelque chose de maternant : Esaü aimait cuisiner. Adulte, Isaac est le type même de l’homme obéissant, religieux, qui ne se révolte ni contre les hommes ni contre Dieu. Sa foi est nuancée par la crainte respectueuse du Tout-puissant ; mais il lui arrive de frémir devant les hommes (voir Genèse 26, 8) Il est désigné par les commentateurs comme « père » et « fils », ce qui pose la question de ce qu’il est lui, de sa place et de son rôle. Patriarche de transition disent encore de lui les commentateurs.

Le grand dessein de Dieu – son désir – ne pouvait être soutenu par Isaac mais par sa femme Rébecca, cela parce que Dieu avait parlé à Rébecca pendant sa grossesse – elle n’en a soufflé mot à son mari – en lui annonçant que deux nations étaient dans son ventre, « deux patries de tes entrailles se sépareront, une patrie plus qu’une autre s’affirmera : le majeur servira le mineur ». Le majeur c’est-à-dire Esaü et le mineur Jacob. On peut se demander ici pourquoi Dieu ne le dit pas aussi à Isaac ; et pourquoi Rébecca ne souffle mot à son mari de son dialogue avec Dieu. Le mineur usera une première fois d’une ruse pour détenir le droit d’aînesse (son frère Esaü le lui vend pour un plat de lentille). Une seconde fois, sur l’ordre de sa mère, il ment à son père en se faisant passer pour son frère. Nous retrouvons ce moment où Isaac demande à son fils de lui préparer un mets afin que s’en régalant il le bénisse avant de mourir. Il faut savoir que cette bénédiction est la dernière, qu’elle ne peut être ni retranchée, ni recommencée. Rébecca en avait saisi toute la mesure. C’était maintenant ou jamais. Ayant entendu Isaac parler à Esaü, elle appelle Jacob pour l’en informer et lui dire : « Maintenant, mon fils, entends ma voix en ce que moi je t’ordonne. » Il s’agit d’aller chercher de quoi préparer un ragoût qu’il apportera à son père pour être béni. Mais il faudra mentir à un père aveugle ! Jacob craint de passer pour un trompeur et que la bénédiction se transforme en malédiction. Sa mère lui précise : « A moi la malédiction, mon fils ! Mais entends ma voix, prends pour moi » (Genèse 27). Entends la voix de Dieu dans la mienne. Il se travestira d’une peau de bête qui évoquera l’aspect hirsute et des vêtements de son frère avec leur odeur sui generis. Isaac, dupé donnera sa bénédiction.

Elle viendra ainsi sceller la vente du droit d’aînesse. Par là, le mineur, le cadet est devenu juridiquement l’aîné. Là encore Isaac n’a rien vu venir ; comme à treize ans où il n’avait rien vu venir non plus. Isaac a véritablement été mis à l’écart à différents moments clefs de son existence : le moment inaugural est à 13 ans quand il demande à son père pourquoi il le ligote et que celui-ci lui fait une réponse à coté ; ensuite, quand Dieu annonce à Rébecca rien de moins que deux nations sortirons de son ventre… Là, il met de facto Isaac à l’écart et pas pour une durée limitée puisque Isaac n’en saura jamais rien ; Rébecca, aussi, met à l’écart Isaac à propos de ce savoir prophétique qu’elle détenait et qu’elle n’a pas voulu partager avec lui ; enfin quand elle a sommé leur fils Jacob de mentir et tromper son père pour obtenir la bénédiction qui revenait de droit à l’aîné. Isaac était là, mis à l’écart, dans sa maison, par la moitié de sa propre famille. Il semble même qu’Isaac prend sa valeur pour Dieu en tant que père biologique : «Oui, à toi et à ta semence je donnerai toutes ces terres, Je lève le jurement que j’ai juré à Abraham, ton père, Je multiplierai ta semence comme les étoiles du ciel, Je donnerai à ta semence toutes ces terres, Toutes les nations de la terre se béniront en ta semence» (Gen.26, 4) Tout se passe comme si Dieu ne voulait pas confier une mission importante à Isaac ; il préfère s’adresser à Rébecca, parce qu’il sait que Isaac ne sait pas se «battre», qu’il n’est pas habité par la permanence d’un désir fort ; il sait obéir mais il ne sait pas dicter une loi.

Charles Sarfati

 

   

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