L’auteur récidive sur sa thèse : Lacan lecteur averti de Bataille. Il nous propose une lecture « en surplomb » de différents textes de Georges Bataille, qu’il cite abondamment. Il affirme que le texte de « l’expérience intérieure » est la relation de sa cure psychanalytique.
Je n’y serai pas hostile, tellement ce texte de Bataille semble l’expérience émotionnelle que les mots de Lacan conceptualisent, mais Jacques Nassif espère aller plus loin, et prendre même la méthode et les découvertes de Bataille dans le droit fil de ce que propose une psychanalyse. Il nous renvoie ainsi à un pathétique, ou tragique, ou dimension sacrée, sans Dieu, de ce que devrait proposer la psychanalyse.
Mais ce n’est pas ce qui m’a le plus intéressée ; au fond que ce soit du Bataille ou du Lacan, je m’en moque : on sait bien quele psychanalyste doit « déchariter » !
L’autre fil rouge de ce livre concerne l’amour, dans notre actualité des genres et des féminismes. A travers l’étude, les citations longues et les commentaires détaillés, de deux pièces de Heinrich von Kleist, Alcmène et Penthésilée, Jacques Nassif se donne la tâche de sauver l’amour, après le « il n’y a pas de rapport sexuel » de Jacques Lacan ! Ca n’empêche pas l’amour ! Il nous propose l’amour, aux hommes comme aux femmes, envers les femmes ou les hommes, comme une aventure qui n’en finira pas de nous travailler, et de nous faire vivre et penser, rencontrer l’Autre. Il détaille les obstacles, les pièges, les malentendus, les illusions, les écueils, les ravalements … qui font le quotidien de nos aventures amoureuses.
Je peux rajouter, c’est compliqué, mais on le sait tous ! Et les concepts lacaniens, comme les remarques de Bataille, viennent sans cesse en expliciter, en affiner les bords, ou le fil ! Et c’est convainquant.
La plus belle pour moi, p 105, de Bataille : « la vérité de l’amour exige bien des violences sans merci de l’étreinte, mais elle n’apparait qu’au hasard, dans la transparence du repos. L’image qui vient le plus à l’esprit est celle d’un lac, celle d’un objet qui n’est jamais isolable comme objet, car ses eaux s’écoulent et leur surface est le reflet du ciel, ses fonds vaseux lui prêtent la douceur invincible qui l’attache à la profondeur d’un sol suivant le long glissement de la planète, ses bords rocheux s’effacent dans la luminosité des airs. Tout entière la vérité de l’amour est suspendue dans ces moments de calme où nous en perdons la limite. »
Jeanne Lafont. Psychanalyste, psychothérapeute. Mes livres : Chez Point hors ligne, Topologie ordinaire de Jacques Lacan, 1986; Topologie lacanienne et clinique analytique, 1990. Les pratiques sociales en dette de la psychanalyse, 1994. Chez EFEdition. Les dessins des enfants qui commencent à parler, 2001; Six pratiques sociales, (livre collectif), 2006; La langue comme espace, 2015.