A partir de ses recherches sur la psychose, engagées dès 1997 sur la logique du désir, prolongées en 2000 sur la forclusion du Nom-du -Père, et poursuivies plus récemment sur la psychose ordinaire, Jean-Claude Maleval cherche à démontrer dans cet ouvrage que la psychanalyse avec des sujets psychotiques gagne à se diriger vers une conversation visant à tempérer la jouissance dérégulée et à mettre en place des suppléances à la carence de la fonction paternelle.
La médicalisation des troubles mentaux (qui trouve sa source dans le DSM III paru en 1980), bloque toute interrogation sur le sens de ce que vivent les patients et se désintéresse de la singularité de leur souffrance, indique l’auteur. En tentant d’évacuer toute trace d’interprétation, d’écoute et de prise en charge, le DSM III se limite à rechercher les causes de la souffrance par un dysfonctionnement du cerveau.
Jean-Claude Maleval, dont Jacques Lacan fut l’analyste puis le contrôleur, est psychanalyste, membre de l’ECF et de l’Association mondiale de Psychanalyse. Professeur de Psychologie Clinique à l’Université Rennes 2, il est l’auteur de La différence autistique (Presses universitaires de Vincennes, 2021), La forclusion du Nom-du-Père. Le concept et sa clinique (Seuil, 2017), L’autiste et sa voix (Seuil, 2009).
Les conversations psychanalytiques reposent sur des témoignages et des cures d’une grande diversité clinique. Elles révèlent des stratégies spontanées par des sujets psychotiques pour tempérer leur angoisse : recours à l’absence de désir, productions d’écrits, construction de fantasmes et de symptômes originaux, mais aussi des modes de jouissance excessive qui parfois confrontent à l’horreur.
« La clinique du désert », en prise directe avec la carence du fantasme fondamental, ne se rencontre pas seulement dans le cabinet de l’analyste, mais aussi sous des formes extrêmes. L’auteur retrace l’exemple de meurtres immotivés qui, comme le délire constituent une tentative de guérison. « Il (le meurtre immotivé) manifeste une tentative pour faire advenir la castration symbolique, il s’agit d’un effet de soustraction de l’objet a », remarque Jean-Claude Maleval (p. 102).
Les psychotiques sont foncièrement des créateurs, souligne l’auteur. La majorité des écrits psychotiques étant consacrés à l’exposé et à l’argumentation d’idées délirantes. L’exceptionnelle propension des psychotiques au travail de la lettre est corrélative de la défaillance du nouage de celle-ci à la chaîne signifiante, observe Jean-Claude Maleval : « L’utilisation que le psychotique fait de la lettre n’est pas celle de la mathématique, qui congédie la jouissance, mais plutôt celle de la calligraphie et de la littérature, qui s’exercent à la récupérer » (p. 297).
La pratique de la psychanalyse incite à prendre appui sur la créativité du sujet psychotique en conduisant la cure par l’entremise de conversations qui visent l’apaisement de la jouissance dérégulée plus que le déchiffrage de l’inconscient. Une telle approche du traitement se différencie nettement des techniques interprétatives utilisées avec les névrosés. Mais cette spécificité conduit souvent à des ruptures dans la cure, rappelle l’auteur. Un pousse à la création inhérent au fonctionnement psychotique capable de générer des productions remarquables révèle qu’il ne se caractérise ni par des déficiences cognitives, ni par une défaite de la pensée, mais c’est parfois par l’élaboration d’une œuvre que le sujet recherche la pacification de sa jouissance.
« Ce qui est visé dans le travail analytique n’est pas une mise en conformité normative, mais un accord du sujet avec lui-même. Il s’acquiert pour certains par l’enkystement d’un délire, le rendant compatible avec une vie sociale ; pour d’autres par un maintien du délire dans les limites de la cure » (p. 341).
Cet ouvrage ne s’adresse pas uniquement aux psychanalystes. Tous ceux qui interviennent auprès de sujets psychotiques pourraient y trouver quelques repères dans leur pratique. La première d’entre elles étant de savoir s’enseigner de la parole de ces sujets, et de la grande diversité des mécanismes qu’ils peuvent inventer pour se protéger de l’angoisse.
Annik Bianchini-Depeint