Dans cet ouvrage, Juan Pablo Lucchelli étudie les travaux de Jacques Lacan, dans une période qui se situe de 1933 à 1948. Il entend démontrer que l’œuvre du psychologue et médecin Henri Wallon, ainsi que la rencontre avec le philosophe Alexandre Kojève, ont été déterminantes pour Lacan dès le début de sa vie intellectuelle, cela à partir de deux écrits fondamentaux : « Le stade du miroir » (1936) et « Les complexes familiaux » (1938). « Le premier est à l’origine de l’invention du stade du miroir par Lacan, le second est connu pour avoir diffusé la pensée de Hégel, très respecté à l’université dans un séminaire entre 1834 et 1936, fréquenté par des noms prestigieux tels que Raymond Queneau, Bataille, Jean Hyppolite, etc. En parallèle, Lacan lui- même organise des soirées à domicile auxquelles Kojève est convié. », écrit Serge Cottet dans sa préface. L’œuvre entière de Jacques Lacan serait donc marquée par les intuitions de la jeunesse, et notamment des rencontres faites après sa thèse de médecine.
L’expression « Le stade du miroir », forgée par Lacan, correspond au moment où un enfant reconnaît l’image de son corps dans un miroir. Juan Pablo Lucchelli suggère que cette fameuse étape s’inspire de Wallon. Dans la première partie du livre, Juan Pablo Lucchelli tente de démontrer la dette de Lacan envers Wallon, mais aussi et surtout de faire surgir les divergences entre les deux auteurs à propos de la construction de la personnalité de l’enfant. « Wallon, affirmant le primat du social, et futur communiste, ne s’intéresse pas comme Lacan à tout ce qui fait l’étrangeté de cette image spéculaire : le visage, le masque. Là où Wallon dit “dédoublement ”, Lacan dit “morcellement”. Là où wallon dit sympathie, échange, communication, Lacan dit plutôt discordance. En effet, selon Lacan, le sujet ne gagne son unité, conquise sur le corps morcelé, que vers trois ans, au prix d’un morcellement mental qui l’aliène à l’alter ego dans une tension agressive, aux deux pôles de la rivalité et de la jalousie», écrit Serge Cottet. Juan Pablo Lucchelli est psychiatre et psychanalyste à Paris, membre de l’Ecole de la Cause Freudienne et de l’Association Mondiale de Psychanalyse. Il enseigne à l’Antenne Clinique de Genève. Docteur en Psychanalyse et en Philosophie, il est l’auteur de nombreux articles de référence et conférences à l’étranger. Il a publié La Perversion (Editions Payot-Lausanne, 2005), Le transfert de Freud à Lacan : Le malentendu des sexes et Métaphores de l’amour (Presses Universitaires de Rennes, 2009, 2011, 2012), Lacan avec et sans Levi-Strauss (Editions Cécile Defaut, 2014). Il est également co-auteur d’un livre d’entretiens avec Jean-Claude Milner, Clartés de tout (Editions Verdier, 2011). Dans la seconde partie du livre, Juan Pablo Lucchelli fait référence au philosophe russe Alexandre Kojève. Il est certain que la philosophie de Hegel, revue et corrigée par Kojève, a eu une grande importance dans le cheminement intellectuel de Lacan. Jacques Lacan a d’ailleurs pu lire Wallon avec Kojève. « Avec beaucoup de précision, J. P. Luchelli distingue donc l’apport conceptuel de Wallon à celui de Hégel, ce dernier lui permettant de rompre complètement avec les modèles viatalistes et darwiniens », écrit Serge Cottet. On voit se profiler, derrière la conception lacanienne du désir comme désir de l’autre, le désir comme aliéné de Kojève. Le désir de l’autre, qui concerne l’Autre avec une majuscule, également utilisé chez Kojève, définit chez Lacan le fait que l’être humain est essentiellement un être de langage. Le lecteur pourra revisiter la dalectique du maître et de l’esclave, que l’on connaît depuis Hegel, et parcourir ce que Lacan nomme dans le séminaire sur Le Transfert, « la métaphore de l’amour » à partir du Banquet de Platon : à savoir, le passage d’un état subjectif à un autre. On passe d’être aimé à être amant, d’érôménos à érastès. Quand le sujet éprouve le manque, il désire, et quand le manque est assouvi, le désir s’éteint. La découverte de cinq lettres inédites de Lacan à Kojève à la Bibliothèque Nationale de France, datant de 1935, récemment publiées par Jacques-Alain Miller, témoignent des liens étroits entre les deux hommes. Et il n’est pas exclu de penser que le philosophe ait été initié au savoir clinique par Jacques Lacan. Annik Bianchini Depeint |
Juan Pablo Lucchelli
Lacan, De Wallon à Kojève
Préface de Serge Cottet. Éditions Michèle, 2017, 220 p.