De l’aveu même de l’auteur, c’est un livre difficile entre la question sociale et la psychanalyse. Il se centre sur le symptôme, voire le synthome de Lacan. Et il conclut « ce qui interroge alors au-delà de toute posture optimiste ou pessimiste : en avons-nous encore le temps, je l’ignore. Ce que je sais c’est que si nous le faisons pas, nous n’aurons pas fait notre part pour éviter le pire » !
C’est dire l’urgence dans lequel se place cette réflexion actuelle sur l’état du capitalisme, du néolibéralisme, du marxisme et la gestion biologique et statistique des masses par nos technocrates ! Et tout autant de la science qu’André Meynard voit ainsi : »la science s’est substituer à la religion avec autant de despotisme, d’obscurité et d’obscurantisme » (p138)
Marie Jean Sauret aborde le social à partir des discours du Maitre, mais surtout, il truffe sons propos de remarques de Jacques Lacan, éparses dans tous ses séminaires, en les rapportant à un réel du symptôme, ou même de la condition humaine « comme non adéquate, du fait même du langage », enfin des thèmes souvent évoqués par Lacan, mais qui sont là en quelque sorte, profondément pris au sérieux, développés, et rendus à leur valeur de subversion, ou même d’anticipation de ce que pourrait être une position politique (au très large sens du terme) de la psychanalyse. Là où on a quelque fois l’impression que Lacan se tire d’une difficulté socio-politique, avec une formule à l’emporte-pièce, teintée d’ironie ou d’amertume, Maire Jean Sauret s’arrête, sonde le sens, rappelle les grands auteurs, prend le temps de citer largement l’un ou l’autre comme le débat entre Lippmann et Dewey, deux économistes du 19ème, (Lippmann et son néolibéralisme a largement gagné aujourd’hui) ! Et il enchaine sur le « refoulé du néolibéralisme » toute une réflexion sur le réel du sujet, de la condition de sujet humain, obligeant ainsi la psychanalyse à prendre sa part dans le débat. « L’élimination de la distinction entre sujet (parlant) et individu (bio-psycho-social), prive la démocratie de son sujet et rendent le lien social politiquement impensable. » (p111) Et dans un certain sens tout y passe, le wokisme, les dérives identitaires, l’islamophobie, le racisme, l’antisémitisme, la question du genre …. Et c’est difficile, il faudrait citer des passages entiers … on ne parvient pas vraiment à résumer, tant les enchainements logiques arpentent des bords, des territoires confus, souvent très radicalisés, où nos contemporains assènent des certitudes que Marie Jean Sauret traitent comme des symptômes qui nous disent pourtant la vérité de l’état de notre temps !
J’ai trouvé le projet ambitieux et la difficulté d’en suivre le déroulement ne m’a pas empêché d’êtreintéressée, voire passionnée, comme si un psychanalyste se décidait enfin à prendre le temps de développer en quoi la psychanalyse pourrait nous aider à survivre aux catastrophes annoncées !
Jeanne Lafont Psychanalyste, psychothérapeute. Mes livres : Chez Point hors ligne, Topologie ordinaire de Jacques Lacan, 1986; Topologie lacanienne et clinique analytique, 1990. Les pratiques sociales en dette de la psychanalyse, 1994. Chez EFEdition. Les dessins des enfants qui commencent à parler, 2001; Six pratiques sociales, (livre collectif), 2006; La langue comme espace, 2015