Monique Lauret | Lacan, Mencius

La route chinoise de la psychanalyse

Éditions Campagne Première, 2022

Qu’est-ce qui donne envie de lire un livre, d’y plonger, parfois de s’y perdre avec bonheur ? Pour ma part j’attends qu’un livre me déplace, me bouscule, me sorte des sentiers battus et rebattus. Qu’un livre s’inédite ! L’ouvrage de Monique Lauret, en déplaçant le lecteur dans le temps et l’espace, offre cette singularité d’emprunter la métaphore de la célèbre route de la soie, cette piste mythique qui reliait la ville de Chang’an (actuelle XI’an) en Chine à la ville d’Antioche, en Syrie médiévale. Cette route commerciale fut aussi le lieu de riches échanges culturels. Le voyage que propose Monique Lauret, comme tout voyage, nous ouvre les yeux lors du retour au pays. Les couleurs sont plus chatoyantes, des détails qui nous paraissaientlourds d’importance soudain chutent d’intérêt, les reliefs se font plus vifs, certaines paroles se font plus incisives… Depuis les années 80 les échanges de psychanalystes avec la Chine sont nombreux, fructueux, mais aussi respectueux des traditions depart et d’autre. Il ne s’agit pas, comme onl’apu voir malheureusement chez certains, d’évangéliser psychanalytiquement l’Empire du milieu, mais de considérer et de consolider des pointsdepassage, des ponts, les entre-deux qui bornent autant l’ancrage occidental de la psychanalyse, que les grands mouvements philosophiques de la Chine millénaire (Taoïsme, confucianisme etc.). Les voies empruntées pour cetterencontre par l’autrice mettent en exergue Jacques Lacan d’un côté et Mencius de l’autre, un continuateur  de Confucius, comme le fut Lacan de Freud. On connait l’intérêt que porta très tôt Lacan à la pensée chinoise. Les cours qu’il suivit aux Langues O, comme on dit, la rencontre avec François Cheng… balisent son chemin, au point d’affirmer dans son séminaire du 20 janvier 1971, D’un discours qui ne serait pas du semblant que : « Je me suis aperçu d’une chose, c’est peut-être que je nesuis lacanien que parce que j’ai fait du chinois autrefois ». En ouvrant ses « passerelles » entre Lacan et la tradition chinoise, Monique Lauret nousfait découvrir, autant dans l’enseignement de Lacan que dans les classiques chinois, des ouvertures sur l’inconscient, « structuré comme une écriture ».Des perspectives à venir prometteuses se dessinent, autant dansla clinique que dans la recherche théorique. Et le lecteur en ressort léger, débarrassé des scories du prêt-à-penser et du prêchi-prêcha qui empoisonne trop souvent le discours analytique. Prêt pour de nouvellesaventures où la psychanalyse, en se frottant à d’autres régionsculturelles se vivifie humblement, et évite les effets de culturocentrisme que malheureusement l’on connait trop bien.

Joseph ROUZEL

Psychanalyste, ancien éducateur, directeur de l’Institut Européen Psychanalyse et Travail social (PSYCHASOC à Montpellier), secrétaire et trésorier de l’association l’@psychanalyse, Co-directeur de la collection « Psychanalyse et lien social » chez l’Harmattan.

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