Un important ouvrage collectif vient d’être consacré au travail de René Major qui se prolongera d’une journée d’étude le 23 septembre prochain à l’ENS. Comme le rappellent les deux co-directrices du livre, Ginette Michaud et Danielle Cohen-Levinas, Major a « profondément marqué le domaine de la psychanalyse, en l’ouvrant à la philosophie, à la littérature, de même qu’aux autres sciences humaines : le droit, la biologie, les neurosciences, l’économie – et le politique tout spécialement » (p. 5). Major a aussi été un infatigable analyste des institutions psychanalytiques par lesquels il sera passé, se situant toujours plus en dedans-dehors, tout en facilitant les rencontres entre les différents cercles, et animant les débats entre la psychanalyse et les autres champs, notamment à travers Confrontation(1977), « à la fois séminaire, revue et maison d’édition » (p.11), ou organisant les États généraux de la psychanalyse en 2000 avant de fonder l’IHEP en 2003 (l’institut de Hautes Études en Psychanalyse). « S’impose à ses yeux une analyste déconstructive de l’institution et de ses fondements qui, pour être digne de se dire psychanalytique », doit, pour le citer, « en passer par l’analyse de l’effacement des noms qui a marqué sa propre histoire »(p. 15). Major n’aura cessé de mettre en garde la communauté analytique celle-ci s’étant «enfermée dans une politique autarcique sans prendre garde qu’en niant tout autre, elle reproduisait du même. » (Ibid) Major reste aussi, et avant tout, le compagnon de route indéfectible et l’ami fidèle de Jacques Derrida, et il aura rendu possible, indirectement, la discussion entre ce dernier et Jacques Lacan, malgré les tumultes d’une histoire chargée de règlements de compte. Major et Derrida ont eu à cœur de rejouer l’héritage de la psychanalyse constituée en un champ propre en l’ouvrant au politique, la « psychanalyse à venir » n’allant pas sans une « démocratie à venir ». Les auteurs de cet ouvrage témoignent de leur relation forte à René Major, et rendent compte de l’importance de son transfert de fond à la psychanalyse à travers des notions qui modifient le rapport à l’écoute et à l’interprétation, comme par exemple la désistance, ou la pulsion de pouvoir qui lui est liée et qui reste mal entendue des analystes, alors même que la Bemächtigungstriebfait le lien avec le politique et réengagela façon d’aborder la pulsion de mort qui continue à alimenter tant de spéculations aujourd’hui. A l’heure où la psychanalyse est sous le feu d’attaques multiples, et à entendre l’appel de Derrida en ouverture (N’oublions pas la psychanalyse, p.45), il est nécessaire de reprendre le fil de ce travail élaboré par Major, comme le font les auteurs de cet ouvrage (auquel j’ai eu la chance de participer) pour résister.
Elias Jabre
Psychanalyste, membre de la SPF, Chercheur en philosophie au LLCP (Paris 8)