Solal Rabinovitch
L’ange, le fou, le savant et le psychanalyste
Une affaire de pensées
érès Éditions, Coll. Scripta, 2017, 254 p.

Dans cet ouvrage, Solal Rabinovitch nous propose une réflexion sur l’expérience de la pensée à la lumière des théories de Jacques Lacan et de Sigmund Freud. Dans une langue intime qui s’adresse à l’esprit et au corps. On entend mes pensées, dit le fou. On sait mes pensées, dit l’enfant. Avec quoi pensons-nous chaque fois les pensées, s’interroge l’auteur ?

Qu’il s’agisse d’expérience sensible, de fantaisie d’artiste ou de débordement délirant, Solal Rabinovitch montre que les pensées sont toutes issues d’une même facture mentale. «Tant qu’elles ne se disent pas, les pensées glissent les unes sur les autres et disparaissent comme l’étincelle sur le charbon.» C’est en les disant, les écrivant, que ce livre cherche à les saisir à travers leur intarissable bruissement, leur inépuisable murmure, de l’ange à l’artiste, du savant au psychanalyste.

Une affaire de pensées, ce serait l’affaire du psychanalyste. Il y a la pensée que l’analysant prête à l’analyste, et il y a la place laissée aux pensées de l’analysant, là où justement, il faut ne pas penser, vider sa conscience de pensées, se contenter de flotter sur le préconscient : «Cette expérience que fait l’analyste, plutôt mélancoliquement, au seuil de la non-spécularité de l’autre, est à la fois celle du dialogue psychotique et celle de la passe.»

Solal Rabinovitch est psychiatre et psychanalyste à Paris, membre de l’Ecole de Psychanalyse Sigmund Freud (EPFS). Elle a déjà publié La folie du transfert (érès, Coll. Scripta, 2007), Ecritures du meurtre, (Erès, Coll. Scripta, 2004), Les voix (érès, Point Hors Ligne, 1999).

L’ouvrage s’ouvre sur le pari  d’une continuité entre pensée folle et pensée familière : «Quel éclairage la folie de la pensée porte-t-elle sur une pensée de la folie ? Phénomène de pensée, déclarait Jacques Lacan en soutenant sa thèse, la folie fait partie du cours de la pensée normale. Evénement de pensée, dirions-nous, elle peut altérer ce cours, le dévier. Mais elle n’en modifie pas profondément le processus. Cela nous permet de concevoir l’absence de toute solution, de continuité entre la pensée d’un scientifique, celle d’un philosophe et celle d’un fou.» Penser la folie peut éclairer celle du processus même de pensée. Mais pour qu’une phrase porte, il vaut mieux ne la penser qu’après, suggère l’auteur.

Du monde, les pensées trouent la rumeur ou forment l’image. «Bien qu’immatériel, l’espace mental de la pensée plonge dans le sensible. Un sensible de l’ordre du visuel : la pensée, surtout abstraite, est une vision mentale. La proximité entre penser et voir nous était déjà donné par l’hallucination : on hallucine les yeux fermés, on pense dès qu’on les ouvre. » Pour le psychanalyste, c’est par l’imaginaire que nous accédons à l’impossible à voir, soit le réel.

Dans le chapitre intitulé «L’étoffe de la cure», Solal Rabinovitch tente de démontrer par quelles voies l’analyste peut faire entrer un analysant psychotique dans le jeu transférentiel, en soutenant un travail qui «fait avec» sa faille constitutive. L’étoffe d’une cure se tisse du fil des pensées, du fil de leur association libre. Avec le névrosé, «une pensée jaillit, et se dit à l’instant de son jaillissement. Q’est-ce qu’une pensée qui jaillit sans avoir été pensée auparavant ? Un bruit de mot, une image de mot, ou la “vue” soudaine de ce qui, concret ou abstrait, sourd du patient; ce “quelque chose”, l’analyste le change en phrases.»

Sans reculer devant le réel, cet ouvrage aux accents singuliers, profonds, où se mêlent écriture sensible et réflexion fine, fait ce qu’il dit : «Ecrire ce qu’il propose de faire penser.»

Annik Bianchini Depeint

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