Le sous -titre le déclare ouvertement « pour une psychanalyste féministe ». Et la référence essentielle de ce féminisme est Valérie Solanas, et son texte scandaleux de SCUM. Silvia Lippi le défend bien, en raison, sans peur, pourrait-on dire aussi, en vrai Scum !
Bien sûr, si vous n’avez pas lu ce brulot (« pour zigouiller les hommes » porte-il en sous-titre) vous aurez peut-être du mal à rentrer dans le livre. Il se trouve que dans ma jeunesse de théâtreuse, vers les années 70, j’avais appris par cœur de longs passages pour en faire un spectacle avec une amie, que l’on a dû jouer une dizaine de fois. Heureusement elle en cite de longs passages, mais à l’intérieur du livre.
Silvia accepte le diagnostic de schizophrénie à propos de Valérie (elle la nomme comme ça, sans référence au nom propre, forcément masculin) mais elle en obtient une belle définition de la schizophrénie. « Cette vérité est celle de l’interminable guerre hétérosexuelle, de la rencontre impossible entre un homme et une femme, du fameux « non rapport sexuel » de Lacan, mais ici accompagné de l’idée qu’il y a une solution à cette impossible : l’extermination des hommes. Un langage où rire et vérité se confondent à ce point est proprement schizophrène ». (p183)
Silvia revient évidemment sur le coup de pistolet de Valérie sur Andy Warhol, mais l’acte criminel ne défait pas l’œuvre (voyez Althusser, ou Heidegger). « Chez Valérie la jouissance de la langue l’emporte sur tout. C’est en cela qu’elle est peut-être la figure tutélaire paradoxale et inquiétante de #metoo… Le langue fonctionne comme un acte, tout de même que dans la psychose » (191). Elle aurait pu là parler de la valeur « performative » de la langue chère aux féministes américaines !
L’intérêt cependant reste de faire une vraie étude des différences et similitudes entre Valérie et Jacques Lacan ; vraie au sens d’argumentée en Raison, dans le détail, et sans récrimination. On entend même de l’admiration. Sa force tient surtout à la richesse, (et pour moi la justesse, pas toujours évidement) de ces analyses conceptuelles. Silvia connait son Lacan, et ses épigones. Son chapitre sur les formules de la sexuation est remarquable. Silvia reconnait la tentative de Lacan pour prêter main forte au féminisme. La « femme n’est pas toute-phallique », mais Silvia veut aller au-delà avec Valérie. Et elle convoque un nouveau lien social, la « sororité » indépendante des hommes, fondée sur un partage du symptôme, pourquoi ne dit-elle pas synthome !
Ainsi prend-elle le temps dans le début du livre de nous ramener, avec Freud, à la construction d’un symptôme, que les sœurs partageraient, comme fondement d’un nouveau lien social.
Voyez la seule critique : mon petit rapport pour vous donner envie de lire ce livre passe du milieu à la fin, en revenant au début … Ce texte n’est pas linéaire, il revient souvent sur les mêmes faits, les mêmes textes, en les analysant selon un autre point de vue, dans un autre contexte, conceptuel, ou politique, voire historique … pas bien grave !
Jeanne Lafont Psychanalyste, psychothérapeute. Mes livres : Chez Point hors ligne, Topologie ordinaire de Jacques Lacan, 1986; Topologie lacanienne et clinique analytique, 1990. Les pratiques sociales en dette de la psychanalyse, 1994. Chez EFEdition. Les dessins des enfants qui commencent à parler, 2001; Six pratiques sociales, (livre collectif), 2006; La langue comme espace, 2015