Sous la direction de Marie José Durieux | Rêver et imaginer avec Bion et Lacan

Edition éres, 2023

Article rédigé par : Françoise Hermon

Rêver et imaginer sont indissociables de l’activité de penser ; les théories et les pratiques des psychanalystes en sont la preuve, et les huit auteurs et autrices qui ont collaboré à cet ouvrage préfacé par Bernard Golse et dirigé par Marie José Durieux nous en donnent la mesure.

Cette dernière cite Christopher Bollas qui dit « Les théories sont des visions. Chaque théorie voit quelque chose que les autres ne voient pas. » Ainsi, c’est dans un esprit d’ouverture à deux visions et modes de penser étrangers que se voient ici réunis deux psychanalystes des plus inventifs et des plus difficiles à saisir et à assimiler.

Lacan en France et Bion en Angleterre, ces deux contemporains ont eu à faire les frais de leur foncière originalité ; mais avoir le courage ou l’audace de tenter de rapprocher leurs théories et leurs imaginaires représente un défi auquel ne se dérobent ni Marie José Durieux, ni François Levy, ni Jean Jacques Tyszler, ni Pierre Henri Castel.

C’est autour du concept de mythe que s’organisent les propos de Jean Jacques Tyszler et de François Lévy: Les imaginaires avec Lacan, entre mythos et Logos pour reprendre l’intitulé de l’atelier animé par le premier pour des enfants de l’exil, Du mythe individuel au mythe collectif pour le second qui déplie pour nous une conception Bionnienne des plus originales mettant en relation la curiosité des chercheurs, l’avidité des pilleurs de tombes, le mythe d’Oedipe, du jardin d’éden, de la tour de Babel et bien d’autres encore.

Qu’est ce qu’un mythe, à quoi nous sert-il et comment raison et émotion s’y tissent elles ?

Marie José Durieux remarque que pour Bion comme pour Lacan « c’est aux champs de ‘ Autre que se forme la pensée du petit d’ homme » ; en effet pour construire leur pensée, ces deux hommes s’étaient l’un comme l’autre nourris aux sources de champs culturels multiples et variés, faisant de la psychanalyse un domaine largement ouvert sur le monde extérieur dans sa complexité et sa globalité (Guerres, anthropologie, mathématiques, sciences physiques, religions…).

L’article de Pierre Henri Castel avec son titre Bion, la rêverie, le rêve, Lacan reprend une des inventions majeures de Bion comme le Dreaming, la rêverie maternelle à partir de laquelle les éléments béta, sensations brutes et chaotiques, se transforment en éléments alpha donnant lieu à des représentations rêvables, fantasmables et pensables par le bébé.

Il met par ailleurs en lumière une trouvaille de Bion tout à fait singulière et féconde l’excrétion visuelle caractéristique du processus hallucinatoire, à distinguer du rêve et de la rêverie.

Cette conception de la rêverie maternelle entraine-t-elle la nécessité de développer l’empathie de l’analyste vis à vis de celui qu’il écoute? C’est avec véhémence que Pierre Henri Castel s’y refuse. On peut repérer dans cette polémique une divergence symptomatique de certains teneurs de Bion ou de Lacan dont il faut bien admettre que les systèmes de pensée sont avant tout hétérogènes.

L’analyse des processus primaires dominent dans l’abord du premier, le logos et les processus secondaires chez le second (surtout dans sa première période, avant qu’il n’ait à travers leur nouage, reconnu l’importance égale du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire).

C’est de la capacité de la pensée de Bion à féconder notre imagination, que témoignent les contributions de Simone Korff-Sausse, Catherine Pagès, Chantal Davidse Lheureux Laura Duprey, et c’est avec brio qu’elles illustrent comment des psychanalystes affrontent le handicap et autres situations extrêmes quand l’inventivité se dote de l’anticonformisme le plus total.

J’ai lu avec bonheur Chantal Davidse Lheureux dans son remarquable article L’Imaginaire en partage avec des enfants et adolescents sans langage. Je n’ai pu qu’y admirer son infinie patience et le talent qu’elle manifeste pour s’identifier à des enfants immergés dans la plus grande angoisse et le chaos le plus total, les amenant à organiser progressivement à l’aide du jeu, un monde rythmé, peuplé d’objets acceptables et pensables.

A travers l’écrit limpide de Simone Korff-Sausse, on voit comment, elle s’appareille à sa patiente surprise de trouver dans son cabinet une sculpture de nuage emprisonné semblant chercher à s’échapper, et comment analyste et patiente arrivent à transformer le contenu factuel et ennuyeux des propos d’une séance, en un contenu d’émotions partageables permettant l’émergence d’affects de colère et de rivalité. « le patient et l’analyste ont été transformés, ici grâce à la rêverie suscitée par le nuage ». Simone Korff ajoute que pour Bion « l’objectif de l’analyse n’est pas tant la résolution des symptômes ou la levée du refoulement, mais l’augmentation des possibilités psychiques du patient, ce qu’il appelle la croissance mentale. »

Je salue l’originalité et la précision de l’article de Catherine Pagès qui fait s’entrechoquer l’histoire du mouvement analytique à travers guerres intestines et mondiales, et le récit de quelques séances de psychodrame individuel avec une adolescente en grande difficulté. C’est au pays de la grande pionnière de la psychanalyse d’enfants Mélanie Klein que nous sommes embarqués pour mener cette enquête autour de la question : le psychodrame : enfant illégitime de l’école anglaise ?

Le voyage se poursuit avec Laura Duprey : L’imaginaire de l’enfant à l’épreuve du trauma, une approche traumatique à partir de Mélanie Klein et de Bion.

Partant de la manière dont la première (qui fut analyste de Bion) conçoit la résonnance des expériences traumatiques avec le monde interne peuplé de bons et de mauvais objets, nous arrivons à l’une des inventions majeures de Bion : la barrière de contact, « cette membrane sélective et plastique qui protège continuellement la pensée en maintenant une différenciation suffisante entre le monde interne et la réalité externe ».

Merci à ces psychanalystes qui ont rendu possible de réunir dans un même livre deux chercheurs praticiens aux conceptions aussi hétérogènes, adeptes de l’ouverture à l’inconnu.

La parution de cet ouvrage nous permet de rester optimistes puisque que force nous est de constater qu’on peut imaginer, rêver, penser et inventer de nouvelles manières de psychanalyser, à condition d’éviter la fossilisation des inventions des maîtres qui nous ont fécondés, de toujours fabriquer des Second thoughts comme nous l’a appris Bion qui conseillait aux analystes d’aborder chaque séance sans mémoire, sans désir, et sans compréhension.

Françoise Hermon.
Psychologue clinicienne et psychanalyste membre du cercle Freudien exerçant à la consultation médico- psychologique de Chaville a publié en …. dans la revue Patio no 3 L’inconscient à l’œuvre, « Trajectoire orale ». En 2008, dans le bulletin du Cercle Freudien « La destructivité en psychanalyse ».

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